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vanni Torriano, un chef et un contrôleur du garde-manger, deux panetiers, deux caviers, deux sauciers, deux cuisiniers et deux garçons de cuisine, un pâtissier, deux boulangers, un brasseur, un tonnelier, un jardinier, un chasseur, un portier, trois laquais, deux lingères, la plupart belges ou bourguignons, tel fut le personnel dont se composa la maison impériale, sous la direction du majordome Quijada. Tout ce monde n’aurait pu être logé dans l’habitation construite pour l’empereur à Yuste, le secrétaire, le garde-joyaux, les horlogers et quelques autres fixèrent leur demeure à Cuacos, village situé à une demi-lieue du couvent, où Quijada s’établit aussi[1]. Charles-Quint écrivit à la princesse doña Juana afin qu’elle fît affréter deux navires pour transporter aux Pays-Bas les gens qui l’avaient suivi et qu’il venait de licencier : le comte du Rœulx et le seigneur de Licques étaient du nombre; le seigneur d’Hubermont avait pris les devants depuis quelques jours. Le seigneur de la Chaulx ne partit pas avec ses compatriotes : il avait en Castille une commanderie qu’il voulut visiter. Il ne retourna aux Pays-Bas que quelques mois après[2].

Le 3 février 1557 fut, après plusieurs remises, le jour définitivement fixé pour l’entrée de Charles-Quint au monastère. Ce jour-là il donna audience à ceux de ses anciens serviteurs qui allaient reprendre le chemin de leur pays; il reçut avec bonté et sensibilité leurs adieux; beaucoup d’entre eux fondaient en larmes. A trois heures il monta en litière et se dirigea vers le couvent, suivi de toutes les personnes qui se trouvaient au château de Jarandilla. Il était cinq heures quand il arriva à la porte de l’église[3]. Les religieux l’y attendaient; à son entrée, ils entonnèrent le Te Deum, tandis qu’on le portait sur une chaise, ayant à ses côtés le comte d’Oropesa et Quijada, jusqu’au pied du maître-autel. Les cloches sonnaient à toute volée; l’église avait été ornée avec autant de magnificence que le permettaient les ressources de la maison; elle était entièrement illuminée : rien n’avait été épargné par les moines pour témoigner leur joie de voir — ainsi que Gaztelú l’écrivait — « ce à quoi ils n’avaient jamais cru. » Les prières d’usage en pareille circonstance ayant été dites, le prieur et tous les religieux, chacun selon son rang, vinrent baiser la main de l’empereur. Charles après cela sortit de l’église, et prit possession de la demeure où désormais il devait vivre et mourir[4].

On a cru longtemps, sur la foi des historiens de l’ordre de Saint-Jérôme, que Charles-Quint, au monastère de Yuste, vécut en cénobite, exclusivement occupé de pratiques religieuses. Les documents exhumés, de nos jours, des archives de Simancas ont fait voir combien cette opinion était erronée. Il est très-vrai que, pendant le temps qu’il passa au monastère, Charles édifia, par sa piété, par l’ardeur de sa foi, tous ceux qui en furent les témoins. Chaque jour il entendait la messe et les vêpres, soit dans une petite tribune qu’on avait construite pour lui à l’un des côtés du chœur, soit d’une des fenêtres de sa chambre qui donnait sur le maître-autel. Les dimanches, les mercredis, les vendredis, il allait à l’église écouter un sermon prononcé par l’un de ses trois prédicateurs, et, les autres jours de la semaine, une lecture sur l’Écriture sainte faite par fray Bernardino de Salinas, profès de San Bartolomé et docteur de l’université de Paris; lorsqu’il arrivait qu’il en fût empêché, il chargeait son confesseur de lui rendre compte de ce qui avait été prêché ou lu. Il manquait rarement d’être présent au chœur les jours où les religieux se donnaient la discipline. Aux fêtes principales consacrées à Dieu, à la Vierge, aux apôtres, et en d’autres occasions encore, il se confessait et communiait. Il avait ordonné que tous les jours il fût dit quatre

  1. Retraite et mort, etc., t. I, pp. L et 111.
  2. Ibid., t. I, pp. 100, 108; t. II, p. 108.
  3. Il y avait une lieue de Jarandilla au monastère.
  4. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 117, 118; t. II, p. 15.
       M. Mignet, Charles-Quint, etc., pp. 202-224, donne la description des appartements de l’empereur, de son mobilier, de ses tableaux, de ses horloges et instruments de mathématiques, de sa bibliothèque, de son argenterie.