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Deux chemins conduisaient de Tornavácas au village de Jarandilla, dans la Vera de Plasencia, au sommet de laquelle s’élevait le monastère de Yuste : l’un facile, mais qui exigeait cinq journées de marche; l’autre de cinq lieues seulement, mais montueux, plein d’aspérités, bordé de crevasses et de précipices; Charles-Quint choisit le dernier. Dans le trajet qu’il eut à faire, sa litière ne lui fut presque d’aucun secours; il lui fallut être porté par les paysans que Quijada avait mis en réquisition à Tornavácas, tantôt en une chaise, tantôt sur leurs épaules. Parti le 12 à midi, il arriva à sept heures seulement à Jarandilla : il était extrêmement fatigué; mais il ne s’en plaignait pas; il s’était par cette fatigue épargné quatre jours de voyage. L’habitation qu’il avait fait construire à Yuste ne se trouvait pas prête encore à le recevoir; en attendant qu’elle le fût, il s’établit dans le château de don Fernando Alvarez de Tolède, comte d’Oropesa, l’un des plus grands et des plus somptueux de la contrée. Ce seigneur l’avait mis avec empressement à sa disposition et il lui en fit les honneurs[1].

Charles-Quint séjourna près de trois mois au château de Jarandilla, où il ne pensait pas demeurer même trois semaines : il y reçut la visite du P. Francisco de Borja, avec lequel il eut deux longs entretiens, du duc d’Escalona, du comte d’Olivares, du grand commandeur d’Alcantara, D. Luis d’Avila y Zúñiga, son ancien compagnon d’armes, de D. Fadrique de Zúñiga, beau-père du commandeur, de D. Duarte de Almeida et Lourenço Pirès de Tavora, ambassadeurs de Jean III, roi de Portugal, et de plusieurs autres personnes[2].A son arrivée en Espagne, il semblait bien décidé à ne plus se mêler des affaires publiques; il en était même si dégoûté, selon le témoignage de Quijada et du secrétaire Gaztelú, qu’il n’abhorrait rien plus au monde que d’en entendre seulement pro-

noncer le nom[3]. Cette horreur ne dura pas longtemps en lui; peu à peu il reprit goût aux émotions de la politique. Il était à peine installé dans la demeure du comte d’Oropesa, Gaztelú, qui venait de lui communiquer des choses que lui avait apprises Juan Vazquez, secrétaire de la princesse doña Juana, écrivit à ce dernier : « S. M. aime encore à être instruite de ces choses-là, et même d’autres de cette nature[4]. » Trois jours après, à propos d’une communication semblable, Gaztelú disait à Vazquez : « S. M. demande s’il n’y a rien de plus : d’où j’infère qu’elle ne serait pas fâchée qu’il y eût davantage[5]. » Vazquez avait fait parvenir à Jarandilla des nouvelles des Pays-Bs ; Gaztelú lui mande le 16 janvier : « Vraiment je m’aperçois non-seulement que ces sortes de nouvelles plaisent à S. M., mais encore qu’elle interroge les uns et les autres, quand il arrive un courrier, afin d’en savoir, par toutes les voies, le plus possible[6]. » Le 1er février il lui écrit encore : « J’ai fait part à S. M. de ce qu’il m’a semblé convenable de lui lire de vos lettres. Loin de se fâcher de pareilles informations, S. M. en est charmée, et elle le serait davantage, s’il y avait d’autres particularités à lui apprendre[7]. » Charles-Quint, sur les instances des reines douairières de France et de Hongrie, consentit à intervenir dans les négociations entamées à Lisbonne par Éléonore afin que l’infante doña Maria, sa fille, résidât avec elle en Castille : ce fut à ce sujet que les ambassadeurs de Jean III vinrent l’entretenir à Jarandilla, et lui-même il envoya à Lisbonne, pour insister, en son nom, sur la demande que formait la reine, un ambassadeur spécial, don Sancho de Cordova, dont il dicta et signa les instructions[8]. Lorsqu’il apprit la rupture de la trève par les Français, il indiqua à la princesse doña Juana différentes mesures qu’il lui paraissait opportun de prendre pour la mise en état de

  1. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 32-42. — Mignet, Charles-Quint, etc., pp. 158-162.
  2. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 50, 56, 68, 71, 72, 81, 91; t. II, pp. 120, 123, 145.
  3. Lettres à Vazquez des 6 et 11 octobre 1556. (Ibid., pp. 7 et l8.)
  4. Lettre du 15 novembre. (Ibid., t. I, p. 42.)
  5. Ibid., p. 45.
  6. Ibid., p. 90.
  7. Ibid., p. 115.
  8. Ibid., t. II, pp. 115-119.