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Le vendredi 25 octobre, un peu avant trois heures, Charles sortit de sa petite maison, accompagné du roi Philippe, du duc de Savoie, du comte de Boussu, son grand écuyer, de Jean de Poupet, seigneur de la Chaulx, son sommelier de corps, et de plusieurs autres personnages; portant le deuil de la reine sa mère, il était vêtu de drap noir très-simple; un bonnet lui servait de coiffure; il avait au cou le grand collier de la Toison d’or[1]. Ses infirmités ne lui permettaient plus l’usage du cheval; il monta une petite mule. Il se dirigea vers le palais[2], en longeant le Parc dans toute son étendue. C’était la grande salle de cette ancienne demeure des ducs de Brabant qui avait été choisie pour l’imposante cérémonie dont le bruit allait bientôt retentir dans l’Europe entière; elle avait été décorée avec magnificence; une estrade en occupait le fond du côté de l’occident; on y avait placé le dais aux armes de Bourgogne avec trois fauteuils; à droite et à gauche du dais des bancs étaient disposés pour les chevaliers de la Toison d’or, les seigneurs principaux du pays et les ministres qui composaient les trois conseils collatéraux. En bas, et vis-à-vis de l’estrade, devaient s’asseoir les membres des états. Un espace, séparé de cette partie de la salle par une barrière, avait été réservé pour le public[3].

Jamais il n’y avait eu et jamais depuis l’on ne vit aux Pays-Bas d’assemblée nationale aussi nombreuse, aussi brillante que celle qui allait recevoir les adieux de Charles-Quint. La Flandre seule y comptait près de cent mandataires; des dix-sept provinces des Pays-Bas il n’y avait que le petit pays d’Overyssel, de Drenthe et de Lingen qui n’y fût pas représenté[4]. L’espace réservé au public s’était trouvé de bonne heure envahi par la foule. Lorsque tous les députés eurent pris les places qui leur étaient destinées, l’empereur entra dans la salle, tenant de la main gauche un bâton qui lui servait de soutien, et ayant la main droite appuyée sur l’épaule du prince d’Orange. Derrière lui marchaient le roi Philippe, la reine douairière de Hongrie, le duc de Savoie, les chevaliers de la Toison d’or, les membres des conseils collatéraux et les officiers des trois maisons royales. A l’aspect de leur souverain, les états se levèrent et s’inclinèrent. Charles s’assit sous le dais dans le fauteuil du milieu, faisant asseoir à sa droite le roi Philippe et à sa gauche la reine Marie; le duc de Savoie occupa un siége particulier auprès de la reine; les chevaliers de l’ordre, les membres du conseil se placèrent sur les bancs qu’on avait préparés pour eux; les seigneurs et les gentilshommes qui ne remplissaient que des charges de cour restèrent debout au pied de l’estrade. Charles commanda aux états de s’asseoir. Un silence profond s’établit en ce moment. Sur un signe de l’empereur, le conseiller Bruxelles s’approcha et donna lecture à l’assemblée d’un discours où étaient déduites d’abord les raisons qui contraignaient ce monarque d’abdiquer la souveraineté des Pays-Bas. Il y était dit ensuite que l’empereur déliait les états de leur serment; qu’il les priait de prendre de bonne part ce qu’il avait fait pour leur bien; qu’il regrettait de n’avoir pu faire davantage, car « tout se devait à de si bons et de si loyaux sujets »; qu’il les remerciait du concours qu’il avait toujours trouvé en eux tous, des bons avis qu’ils lui avaient donnés, des grandes et notables aides qu’ils lui avaient fournies. Voulant, à l’heure où il prenait congé d’eux, leur prouver encore sa sollicitude, il leur recommandait le service de Dieu, le maintien de la religion, l’obéissance due à l’Église, l’observation inviolable des édits qu’il avait promulgués afin de préserver les Pays-Bas de la contagion des doctrines hérétiques : il attachait à cet objet une importance capitale. Il les exhortait enfin à révérer la justice, à vivre en bonne union, et à se montrer

  1. ..... Una vestella di pano negro semplice, con una baretta alla civile et co’l Toson grande al collo .... (Lettre de l’évêque Tornabuoni du 20 octobre, déjà citée.)
  2. Ce palais fut réduit en cendres par un incendie qui éclata dans la nuit du 3 au 4 février 1731.
  3. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 80-81.
  4. Analectes Belgiques, p. 80.