Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

troupes réunies par Guillaume de Hesse. Toutes les villes qui se trouvaient sur sa route lui ouvrirent leurs portes. Le 1er avril il se présenta devant Augsbourg, où il entra quatre jours après. Partout il rétablissait dans leurs charges les magistrats que l’empereur avait destitués, et remettait en possession des églises les ministres protestants qui en avaient été éloignés[1].

Il serait difficile d’exprimer l’étonnement, la consternation qui s’emparèrent de Charles-Quint, lorsqu’il apprit des événements auxquels il s’attendait si peu. Non-seulement il n’avait pas d’armée pour résister à ses ennemis, et pas d’argent pour en lever une, mais encore de tous les princes de l’Allemagne aucun ne se montrait disposé à le secourir[2] ; ajoutons à cela que, quoique l’hiver qui finissait l’eût moins mal traité que les précédents, ses forces diminuaient de jour en jour[3]. Il n’avait pas écouté les remontrances de Granvelle, qui le sollicitait de quitter Inspruck[4] ; maintenant il était obligé de reconnaître que, s’il y demeurait, il courrait le risque « d’être un matin pris en son lit »[5]. Sa situation était critique et son embarras extrême. Quelques semaines plus tôt, il eût pu aisément passer aux Pays-Bas ; cette entreprise était devenue des plus périlleuses depuis que les ennemis occupaient ou avaient à leur dévotion les lieux qu’il lui faudrait traverser. Les chemins de l’Autriche et de l’Italie lui restaient ouverts : mais le roi des Romains le dissuadait de prendre le premier ; sa retraite en Autriche aurait eu, selon Ferdinand, de graves inconvénients pour tous deux[6]. En Italie, où rien ne réclamait sa présence, son arrivée ressemblerait à une fuite, et sa réputation en recevrait une grave atteinte ; il ne trouverait pas d’ailleurs, dans cette province, les esprits moins agités qu’ils ne l’étaient en Allemagne, les désordres que ses troupes, mal payées, y commettaient, soulevant contre elles l’opinion publique ; il serait donc indubitablement contraint de se rendre en Espagne ; dès lors c’en était fait de son autorité dans l’Empire, et ses États des Pays-Bas, que le roi de France menaçait avec des forces considérables, se voyant délaissés par lui, s’abandonneraient au désespoir[7]. Dans cette extrémité, Charles, qui avait en perspective une grande honte ou un grand danger, ne balança point à préférer le danger à la honte, aimant mieux, suivant ses expressions, être traité de vieux fou que de se perdre, en ses vieux jours, sans faire ce qui était en lui pour y reremédier[8] : il résolut, sans consulter aucun de ses ministres, — car il était certain qu’ils s’efforceraient de l’en détourner — de tenter d’arriver aux Pays-Bas. « Si Dieu est servi de donner bonne issue à ce voyage, — écrivit-il à son frère — j’espère que ce sera le plus convenable ; s’il est servi du contraire, je serai plus consolé d’achever mes jours en mourant ou en

  1. De Thou, liv. X. — Schmidt, tome VII, pp. 387 et suiv. — Robertson, t. II, pp. 334 et suiv.
  2. « ….. Je ne trouve point ung sou ny homme qui le me veult prester, ni un homme en Allemaigne qui monstre se déclarer pour moy… » (Lettre de Charles à la reine Marie du 21 mars, déjà citée.)
       Granvelle écrivait à la reine, le 1er avril, que l’empereur était désespéré, voyant qu’il ne pouvait se procurer de l’argent. (Arch. imper. à Vienne.)
  3. « ….. Vous m’avez escript qu’il ne falloit se perdre les bras croysés. Et combien que ay esté mieulx beaucoup de la goutte cest yver que les aultres, si les ay-je de sorte aue j’auroys plus de besoing de les porter en escharpe que de les croyser, et aussy les jambes telles que j’auroys plus mestier de potences pour aller loing que de me mectre en grans chemins » (Lettre de Charles à Marie du 21 mars.)
  4. « ….. Fault que je confesse à V. M. que jà souvent j’ai chanté à S. M. I. ceste chanson de lui dire qu’il n’est ici sheurement, … et combien qu’il emporteroit que, comme qu’il fût, il s’approcha des pays d’embas, tant pour sa sheurté que pour dois là enchemiser toutes choses, …. et que icy il est sans gens et sans argent et exposé au danger de facilement recevoir honte….. » (Lettre de Granvelle à la reine Marie du 26 février 1552, aux Archives du royaume.).
  5. Voir sa lettre du 4 avril 1552 au roi Ferdinand dans Bucholtz, t. IX, p. 547, et dans Lanz, t. III, p. 159.
  6. Lettre citée à la note précédente. Charles écrivait à la reine Marie le 15 avril : « Le roy, par réitérées lettres, répète encoires que nullement je ne voyse vers luy, car se seroit le ruiner et ses affaires, sans pouvoir dois là donner ressource aux miens. » (Archives du royaume.)
  7. Lettre du 4 avril, ci-dessus citée.
  8. Ibidem.