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vesti par Van Mander en Damien Wortelmans, et par ses successeurs en Daniel Wortelmans. Le catalogue du Musée d’Anvers lui a restitué son vrai nom, mais avant la publication de cet ouvrage, on lit dans une description de la galerie Lichtenstein, à Vienne, publiée en 1767[1], que Paul Bril fut élève d’un certain Damien Hortemans. On ignore où le peintre Vincent Fanti, auteur de cette description et conservateur de la collection, a puisé ce renseignement, car le nom d’Oortelman n’est parvenu jusqu’à nous que parce qu’il est cité dans les registres de Saint-Luc. Fort jeune encore, — à quatorze ans, dit Van Mander, — Paul fut obligé d’entreprendre toutes espèces de travaux, soit pour aider ses parents peu aisés, soit pour subvenir à sa propre existence. Parmi ses ouvrages, le vieux biographe flamand cite les couvercles de clavecins qu’il peignait à la gouache; on sait qu’à cette époque il était de mode de rehausser les meubles en les ornant de motifs peints. Quelques indices font supposer que le jeune Bril fut orphelin de bonne heure. Il quitta Anvers pour faire un voyage à Breda; ce voyage, resté longtemps inexplicable, devient tout naturel depuis que nous savons que cette ville fut la patrie du vieux Bril : mille raisons pouvaient y appeler notre jeune artiste; de Breda il revint à Anvers et manifesta sans doute dès lors le projet d’entreprendre d’autres voyages plus intéressants qui n’obtinrent pas l’approbation de ses amis ou de ses proches, car Van Mander (édition de 1618) nous dit « qu’à l’insu de ses amis qui ne voulaient pas de ses voyages au dehors » (onwetens zyn vrienden, die zyn uytreysen niet begeerden) il partit à vingt ans pour la France. M. Kramm, en traitant le même sujet, rend ainsi l’opposition que Bril rencontra : « ten ondank zyner bloedmagen » (contre la volonté de ses proches). Quoi qu’il en soit, amis, tuteurs ou proches, il ne s’agissait point des parents du peintre, et l’espèce de censure que des amis ou des alliés pouvaient exercer sur le jeune homme encore mineur, prouve surabondamment que cette autorité ne se manifestait qu’à défaut d’autre.

Voilà donc Paul Bril échappé à ses amis et en route pour la France; on n’augurait guère de son avenir, car les leçons assez médiocres reçues par lui à Anvers n’avaient même produit qu’un résultat peu satisfaisant; l’élève n’avait guère de compréhension, rien chez lui ne dénotait cette vocation qui se manifeste même dans la jeunesse des grands artistes, si ce n’est, (ce dont on n’a pas assez tenu compte), le désir de voir d’autres pays, de retrouver son frère pour s’instruire près de lui et d’aller chercher, peut-être à l’aventure, les moyens d’arriver à un but encore vague et indéterminé, moyens qu’il ne trouvait pas autour de lui.

Il ne fit, croit-on, que passer à Paris, mais il s’arrêta quelque temps à Lyon. De là enfin il se dirigea vers Rome où il arriva en 1576 ou 1577 au plus tard. Il se mit immédiatement sous la direction de son frère Mathieu, et, dès que le procédé lui fut devenu familier, son intelligence assoupie jusqu’à ce moment, prit l’essor et il ne tarda pas à laisser son maître loin derrière lui. Le peintre avait trouvé sa voie. Il est très-probable que Mathieu l’associa à ses travaux et que de cette façon le souverain pontife put apprécier ce que promettait ce vigoureux talent. Aussi, lorsque Mathieu rendit si prématurément le dernier soupir entre les bras de son frère, laissant inachevés une grande partie de ses travaux, celui-ci reçut du pape l’ordre de les achever. Il ne tarda pas à être officiellement au service de Grégoire XIII et à hériter des charges et des pensions délaissées par son frère. Dès lors son existence se concentra tout entière à Rome, dans ses œuvres sur les murs comme dans les tableaux de chevalet ou les superbes dessins qu’il trouvait encore le temps d’exécuter. A partir de ce moment, plus de voyage, plus d’événements; on ne connaît de lui que ses travaux et la faveur constante dont l’honorèrent les divers papes qu’il vit successivement occuper le trône pontifical. Parmi ceux-ci, ce fut Clément VIII dont il eut le plus à se louer. C’est pour ce pape qu’il exécuta cette fresque colossale dont parle Van Mander,

  1. Cette description est rappelée dans une notice du Bulletin de l’Académie royale de Belgique, t. XXII, p. 594, 1re partie.