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duc de Camerino, son petit-fils : déjà le cardinal Farnèse en avait entretenu l’empereur à Gènes et à Tortona, et l’on peut bien supposer qu’elle n’était pas restée étrangère aux entretiens de Marguerite d’Autriche avec son père. Paul offre un million d’or pour le Milanais, sans même exiger que les châteaux soient remis entre les mains de son petit-fils, et il s’engage, si l’affaire se conclut, à s’unir à l’empereur pour chasser les Français du Piémont. Charles ne décline ni n’accepte cette offre; il avait, comme on l’a vu, donné l’investiture de l’État de Milan au prince d’Espagne; il ne pouvait donc en disposer sans consulter son fils : c’est la réponse qu’il fait au pape, en ayant soin de ne pas lui ôter tout espoir d’un arrangement conforme à ses vœux[1]. Ainsi se termina cette fameuse entrevue sur laquelle étaient fixés les yeux de toute l’Europe. Un ton amical avait constamment régné entre les deux augustes interlocuteurs, et ils se séparèrent, sinon entièrement satisfaits l’un de l’autre, du moins en se témoignant un bon vouloir réciproque. L’empereur avait pris à tâche de convaincre le souverain pontife que son désir sincère était de vivre avec lui en la meilleure intelligence, de protéger sa maison, de correspondre à tout ce qui intéressait son autorité et celle du saint-siége ainsi que le bien public de la chrétienté, enfin de lui montrer une confiance sans réserve[2].

Le 25 juin Charles fait ses adieux au pape et se remet en route. Le 29 il est à Peschiera, le 3 juillet à Trente, le 9 à Inspruck, le 18 à Ulm, le 23 à Stuttgart; il arrive à Spire le 25. On avait répandu le bruit, dans la Germanie, que, à son retour d’Alger, le navire qui le portait avait péri en mer, qu’on faisait passer pour l’empereur un mannequin qui lui ressemblait beaucoup; de diverses parties de l’Allemagne accourt à Spire une multitude de gens qui désirent s’en assurer[3]. Les protestants s’étaient refusés, à la diète de Nuremberg, à contribuer, avec les catholiques, dans les dépenses de la guerre contre les Turcs; ils envoient à Charles des ambassadeurs pour s’en justifier : ces envoyés lui exposent que leurs maîtres n’auraient pas fait difficulté de fournir leur quote-part dans l’aide demandée, si on leur avait donné des garanties au sujet de la paix de religion, si la chambre impériale eût été réformée selon ce dont on était convenu à Ratisbonne, enfin si les contributions n’étaient pas réparties d’une manière inégale. Il leur fait répondre, par le vice-chancelier de Naves, que les décrets existants garantissent la paix de religion; qu’avant de casser les assesseurs de la chambre impériale, la justice commande de les entendre; qu’il n’est pas en son pouvoir de changer ni de modérer les contributions de l’Empire; que cela ne peut se faire qu’avec le concours de tous les états. Il les adjure de considérer la situation de l’Allemagne et d’engager les princes qui les ont députés à ne pas persister dans leur refus de secours contre les Turcs. Quant à lui, ajoute-t-il, il se voit forcé de marcher avec toutes ses forces contre

  1. Sandoval (liv. XXV, §§ XXIX et XXX), rapporte que la cession du duché de Milan était presque conclue lorsque D. Diego de Mendoza, gouverneur de Sienne, présenta à l’empereur un long écrit, dont cet historien donne le texte, sur les conséquences désastreuses qu’elle aurait pour la monarchie.
        La vérité est (nous en avons la preuve dans une lettre que Charles-Quint écrit à la reine Marie le 13 juin) que ce monarque ne voulut pas se décider sans avoir pris l’avis de son fils, et il ne pouvait agir autrement, puisque le duché de Milan appartenait au prince Philippe.
  2. Les détails (inédits) que nous donnons sur l’entrevue de Busseto sont empruntés à des notes historiques du comte de Wynants, directeur général des archives des Pays-Bas sous Marie-Thérèse, Joseph II, Léopold II et François II. Les correspondances de Charles-Quint avec le roi Ferdinand et la reine Marie, qui existent aujourd’hui aux Archives impériales, à Vienne, étaient conservées alors dans les Archives de Bruxelles; M. de Wynants en avait fait l’objet spécial de ses études, et il en avait tiré de nombreux extraits qui nous ont été du plus grand secours pour la rédaction de cette biographie.
  3. Sandoval, liv. XXVI, § 31.
        Ce que rapporte ici Sandoval est confirmé par l’auteur anonyme de la Relation des voyages de Charles-Quint de 1540 à 1544 que nous avons citée plus haut : « Sa Majesté poursuivant son chemyn, — dit-il après avoir raconté la prise de Duren — nous campasmes lez la ville de Remunde (Ruremonde), laquelle Sa Majesté alloit recevoir. Et délivez sçavoir que, nonobstant la snsdicte prinse de Duren, sy eult-il aulcuns maryniers dudict pays qui ne pensoient ladicte Majesté estre vif, à cause que de longtemps on leur avoit fait acroire qu’il estoit mort..... »