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qua ce jour-là au soleil levant; il avait, la veille, fait savoir à D. Bernardino de Mendoza, général des galères demeurées à Iviça, qu’il eût à se diriger directement vers Alger. Plusieurs historiens rapportent que Doria et del Vasto le supplièrent d’abandonner son entreprise, par le motif surtout que c’était faire courir des risques certains à la flotte que de l’envoyer sur les côtes dangereuses d’Afrique dans une saison si avancée, où la violence des vents était toujours à craindre. Mais des sommes considérables avaient été dépensées; tous les préparatifs de l’expédition étaient faits; non-seulement les populations chétiennes des côtes de la Méditerranée, mais encore les nations dont les vaisseaux parcouraient cette mer, en attendaient avec impatience les résultats : Charles persista dans sa résolution.

Les premiers jours le temps se montra favorable : l’armée expéditionnaire arriva devant Alger le 20 octobre sans aucun accident fâcheux, et Charles avec toutes les galères jeta l’ancre à une portée de canon de la ville. Le 21 le temps changea tout à coup; le vent devint si fort et la mer si haute que, redoutant une tempête, l’empereur jugea prudent de se retirer à Metafus[1]. Le vent ayant calmé dans la nuit du 22 au 23, il ordonna, au lever de l’aurore, que les troupes débarquassent; lui-même il descendit à terre. Le 24 l’armée parvint jusqu’à un ou deux milles d’Alger, et les divisions espagnole, italienne, allemande, prirent position autour de la ville : l’empereur, avec les princes, seigneurs, gentilshommes et officiers de sa cour, s’établit dans un vignoble au milieu du quartier des Allemands. Dans la soirée il s’éleva une affreuse tempête, accompagnée de pluie, de grêle et d’une obscurité effrayante. Le débarquement des troupes s’était fait avec une telle hâte que les soldats n’avaient pris ni tentes pour s’abriter, ni vêtements autres que ceux qu’ils portaient sur le corps; en peu de temps ils furent trempés jusqu’aux os, et leurs campements entièrement inondés.

Alger avait pour gouverneur ou vice-roi Hassein Aga, renégat sarde et eunuque qui, par son audace et sa férocité, s’était rendu plus redoutable que Barberousse lui-même; il disposait, pour la défense de la ville, de huit cents Turcs et de cinq mille Mores. Profitant de la détresse où la tourmente jetait l’armée chrétienne, Hassein sortit, le 25, de grand matin, avec une partie de ses forces, qu’il divisa en deux corps : l’un se porta contre les Espagnols, qui occupaient une montagne; il fut obligé de battre en retraite après avoir subi d’assez grandes pertes; l’autre attaqua les Italiens dont le quartier était tout près de la ville; ceux-ci prirent la fuite sans avoir opposé de résistance. Averti de ce qui se passait, Charles accourut l’épée à la main : animant les uns, admonestant les autres, les haranguant tous, il finit par rallier les fuyards, et, secondé des gens de sa maison et de quelques compagnies allemandes, il força les Mores de rentrer dans la place. Cette journée coûta à l’armée impériale trois cents hommes de tués et deux cents de blessés. Charles ne s’y montra pas seulement un valeureux capitaine, mais ses soldats purent se convaincre encore qu’ils avaient en leur empereur un chef plein de sollicitude pour eux. Quoique l’eau ruisselât sur son corps et qu’il fût excédé de fatigues, il ne voulut regagner sa tente qu’après que les blessés eurent reçu les soins que réclamait leur état[2].

Cependant la tempête continuait et elle redoublait même de fureur : les navires, arrachés de leurs ancres, se brisaient les uns contre les autres, ou, jetés à la côte, se fracassaient contre les rochers; plusieurs furent abîmés dans les flots. En peu de temps, quatorze galères et plus de cent bâtiments de transport, grands et petits[3], périrent; tout ce qu’ils contenaient fut perdu; une grande partie des

  1. Metafus ou Temendfust, petite ville avec un bon port, à une quinzaine de milles d’Alger.
  2. Sandoval, liv. XXV, § V.
  3. Sandoval et, d’après lui, Robertson, M. Lafuente et presque tous les historiens portent à quatorze ou quinze galères et à cent cinquante navires, grands et petits, le chiffre des pertes de la flotte. Dans sa lettre du 3 novembre au cardinal Tavera (Documentos inéditos, t. I, p. 434.), l’empereur fixe positivement à quatorze le nombre des galères, mais il ne fait pas connaitre celui des navires de transport qui ont péri, se bornant à dire que tous les petits bâtiments et quelques-uns des grands ont échoué sur la côte. Herbais, copié par Vandenesse, ne parle que de cent vaisseaux perdus (Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, p 614). Dans une relation inédite de l’expédition d’Alger qui est conservée à la Bibliothèque de Tournai, et dont l’auteur faisait partie de la suite de Charles-Quint, on lit que cent et trente vaisseaux périrent, y compris quatorze galères.