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niqueur, se laissait choir sur sa couche, et ne tenait règle ni mesure. »

Charles avait trente-quatre ans lorsqu’il succéda à Philippe le Bon dans les états de la maison de Bourgogne. D’une taille un peu au dessous de la moyenne, avec des épaules larges et pleines, des membres musculeux et solidement attachés, il était, selon l’expression d’un contemporain, « bel prince et de belle présentation. » Il avait la figure presque ronde, le front grand et des yeux d’une admirable clarté. Il tenait de sa mère une chevelure épaisse et noire et un teint basané. Insensible à la fatigue, il souffrait aussi la faim, la soif, le froid, la chaleur avec la plus grande patience. Il mangeait peu et ne buvait que de l’eau colorée d’un peu de vin. Quoique impétueux et violent, il était réfléchi et son attitude même paraissait méditative, car, en marchant, il avait l’habitude de regarder vers la terre. Il parlait bien, d’abord avec une certaine lenteur et avec quelque embarras ; puis, en s’animant, il devenait éloquent, véhément, foudroyant même. Dans les conseils il se distinguait par une grande pénétration, et, bien que souvent inflexible dans ses opinions, il supportait la contradiction et louait les bonnes raisons qu’on lui opposait. Il était aussi d’un accès facile ; jamais prince, dit Commines, ne donna plus libéralement audience à ses serviteurs et à ses sujets. Loyal, « ferme en son dire, » il se montrait en même temps soupçonneux, défiant et vindicatif, ou, comme on disait alors, « de long souvenir. » Il était économe, mais non avare : il donnait même volontiers, mais non avec une aveugle prodigalité ; et s’il thésaurisait, c’était pour accomplir les grands desseins qu’il avait conçus. Bien différent de Louis XI, il aimait la richesse dans les habits et voulait un cortége imposant. Tel apparaissait le prince ; la physionomie de l’homme de guerre était non moins caractéristique. Chastellain disait du dernier duc de Bourgogne qu’il aimait son armure comme s’il était venu au monde tout cuirassé, comme s’il était « né en fer. » Il menait d’ailleurs ses gens en « vrai duc » ; lui-même les rangeait en bataille, les visitait, les haranguait ; il leur promettait gloire et profit ; il jurait de mourir avec eux. D’un autre côté, pour maintenir la discipline, il se montrait dur, emporté, brutal. Il battait ceux qui n’obéissaient pas sur le champ ; et, dans l’expédition contre Dinant, on l’avait vu tuer de sa main un archer parce qu’il n’était pas venu selon l’ordonnance. C’est ce qui faisait dire plus tard à Olivier de la Marche : « Le duc, mon maître, était tel qu’il voulait que l’on fît ce qu’il commandait, sous peine d’en perdre la tête. » Mais un autre contemporain, Philippe de Commines, confesse que, pendant le temps qu’il avait connu le duc Charles, celui-ci n’était point cruel ; il était sévère, rigide, absolu, parce qu’il voulait réellement commander afin d’affermir sa domination et de triompher de ses ennemis.

Le 28 juin 1467, le nouveau souverain fait sa joyeuse entrée à Gand. Le peuple, mécontent d’un impôt qui frappait le blé, se soulève. Accompagné du seigneur de la Gruthuse, Charles se rend sur le marché du vendredi, et, ne pouvait maîtriser sa colère, frappe un artisan du bâton qu’il tenait à la main. « Si vous êtes content de mourir, s’écrie Gruthuse, je ne le suis pas. » Il l’emmène sous les bannières des corporations encore dévouées, puis le fait monter à l’hôtel de ville. Pour apaiser une sédition qui pouvait avoir les plus graves conséquences, Charles promit, mais non sans répugnance, le rétablissement presque complet des priviléges enlevés à la commune de Gand après la journée de Gavre. Des troubles éclatèrent également à Bruxelles, à Anvers, à Malines. Les mécontents favorisaient les prétentions du comte Jean de Nevers, cousin germain du dernier duc de Brabant, mort en 1430. « Voilà, s’écria Charles, ce que me valent les Gantois ! Tous les vilains vont, à leur exemple, se révolter et voudront être les maîtres. Par Saint Georges, il y en aura de cruellement châtiés ! » Mais lorsque, appuyé par la « baronnie » de Brabant, Charles eut mis fin à ces émeutes, il montra plutôt de la clémence que de l’inflexibilité. Un des chefs de la mutinerie de Malines avait été condamné à