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en route, voyageant souvent pendant une partie de la nuit, par un temps détestable et d’affreux chemins. Il parvint cependant sain et sauf à sa destination.

Ferdinand avait, en ce temps-là, pour secrétaire, un Belge, Jean Vander Aa[1]. On ne peut guère douter que ce ne fût lui qui avait attiré l’attention du roi sur Busbecq, l’avait engage à l’envoyer en Angleterre en la compagnie de don Pedro Lasso, dans la vue de le préparer à la carrière diplomatique, et venait de le lui proposer pour l’ambassade de Constantinople, en remplacement de Jean-Pierre Malvezzi, auquel le mauvais état de sa santé ne permettait pas de retourner à son poste. Ce fut Vander Aa aussi qui le présenta au roi des Romains. Ferdinand lui donna une longue audience; il lui dit qu’il comptait sur son zèle; qu’il avait mis toute sa confiance en lui; il le pressa d’accepter la mission dont il le chargeait, en lui faisant sentir combien il était important qu’il partît dans un très-court délai. Comment Busbecq eût-il résisté à de telles instances faites en des termes si flatteurs? Douze jours était tout le temps que le roi lui accordait, et pour faire ses préparatifs de voyage, et pour s’instruire du caractère, des mœurs, des usages, de la forme de gouvernement de la nation ottomane, dont il n’avait aucune connaissance. Sur le conseil même de Ferdinand, il se rendit, sans perdre de temps, auprès de son prédécesseur Malvezzi, qui était retiré dans une de ses terres : il espérait avoir de lui beaucoup de lumières, mais il n’en obtint que des informations assez insignifiantes. Revenu à Vienne, il se mit en route pour Constantinople au jour qui lui avait été fixé, traversa la Basse-Hongrie, la Servie, la Bulgarie, la Thrace, et arriva dans la capitale de l’empire ottoman le 20 janvier 1555. Soliman ne s’y trouvait pas; il était à Amasis, dans l’Asie Mineure; Busbecq alla l’y joindre (7 avril).

Des questions d’une importance majeure divisaient en ce moment la cour de Vienne et la Porte Ottomane. Le roi des Romains s’était fait céder la Transylvanie par Isabelle, veuve du vayvode Jean, mort en 1540; il avait, à la faveur des circonstances, pris Waradin et Cassovie ou Caschau en Hongrie. Le sultan exigeait que la Transylvanie fût remise au fils du vayvode, et que Ferdinand restituât les deux villes dont il s’était emparé. Il s’agissait, pour Busbecq, de le faire renoncer à ces prétentions. Soliman, dans l’audience qu’il lui donna, le reçut fort mal; il n’en obtint pour réponse que ces deux mots : « C’est bien, c’est bien, » (Giuzel, Giuzel), et prononcés encore d’un ton assez méprisant; après quoi il fut renvoyé à son hôtel. On lui fît connaître ultérieurement que tout ce que le sultan pouvait accorder était une trève de six mois, pour lui donner le temps d’écrire à son maître et de recevoir sa réponse. L’intention de Ferdinand avait été qu’il restât en qualité de son ambassadeur ordinaire à la Porte, supposé que la paix se conclût : le divan lui signifia qu’il devait s’en retourner avec une lettre du sultan qui lui fut délivrée pour le roi des Romains. Les ministres turcs avaient surtout été excités à tenir cette conduite envers lui par les ambassadeurs de France; ceux-ci auraient voulu même que le sultan ne lui fît pas l’honneur de le recevoir : ils insinuèrent au divan qu’il n’était envoyé que pour épier ce qui se passait, en rendre compte à Vienne, et faire tout le mal possible à la nation ottomane; que d’ailleurs il était espagnol, naturel sujet et serviteur de l’Empereur[2];

Busbecq donc reprit le chemin de Vienne au mois de juillet. Lorsqu’il y arriva, le roi des Romains ne s’y trouvait pas; il tenait la diète à Augsbourg. Aussitôt qu’il y fut de retour, il reçut l’ambassadeur en audience publique, et lui ordonna de se tenir prêt à porter ses réponses au sultan. Cette fois encore, ce fut dans la plus mauvaise saison de l’année, au mois de novembre, que Bus-

  1. Il quitta, l’année suivante, le service de Ferdinand, pour passer à celui de Charles-Quint. Par des lettres patentes du 18 avril 1555, l’Empereur le nomma secrétaire de son conseil privé, servant en son conseil d’État, à Bruxelles. Il prêta serment le 3 juillet suivant.
  2. Lettre de Ferdinand à Charles-Quint du 20 août 1555, dans Lanz.