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laire. En 1626, un magistrat de la cité ayant été insulté dans un dîner, à l’Aigle Noir, par le comte de Peer, de la suite du duc de Saxe-Weimar, la bourgeoisie s’ameuta et escalada la maison ; plusieurs gentilshommes furent blessés. Beeckman accourt ; sa présence suffit pour prévenir de plus grands malheurs. En 1630, il garantit de toute violence et délivre le grand-prévôt, devenu suspect pour avoir eu quelque conférence avec Henri de Bergh, général au service d’Espagne. Les ennemis de Beeckman, aussi acharnés que ses amis étaient fanatiques, lui ont fait un grief de cet ascendant absolu. On a été jusqu’à dire qu’il n’affectait une âme républicaine que pour parvenir au despotisme. Il faut faire la part des passions du temps ; chacun voit et juge à travers son prisme. Un manuscrit contemporain le représente comme un esprit inquiet, tracassier et ambitieux. « C’était, ajoute l’auteur de ce portrait, un grand politique, très-réservé, très-emmiellé dans ses discours, et dont le zèle turbulent jeta la cité dans le trouble et l’anarchie. Il se montrait sage ou fou, selon les occasions où il se trouvait ; mais il faisait toujours le contraire de ce qu’il disait et promettait ce qu’on voulait, sans se soucier de remplir ses engagements[1]. » On peut voir dans Beeckman, tant qu’on voudra, un Gracchus liégeois ; mais de quelque point de vue qu’on examine sa conduite, on ne saurait lui refuser l’amour sincère et désintéressé des libertés publiques. Rien n’autorise à l’accuser d’avoir jamais recherché des avantages personnels. — « Si ledit Beeckman, dit un autre contemporain, eust voulu caller voille et tenir la partie de Son Altesse comme il tenoit la partie du commun, c’eust été riche homme comme les autres, au lieu qu’il at dispandu le sien propre pour maintenir les petits, desquels il estoit fort aymé. » Beeckman eut le privilége de passionner en sens divers tous ceux qui l’entourèrent. Il semble que, même de nos jours, il soit impossible de parler de lui avec indifférence : pour M. Henaux comme pour Bassenge, c’est un héros et un martyr ; pour M. de Crassier comme pour Villenfagne, c’est un agitateur de l’école des d’Athin.

Tandis que la chambre impériale ratifiait l’abolition du règlement de 1603, les partisans de l’évêque, sous prétexte de garantir le pays contre les incursions des soldats étrangers, y introduisaient nombre de gens de guerre, lesquels ne se faisaient scrupule, ni de rançonner les habitants, ni de se livrer à toutes sortes de déprédations. En vain le chapitre, par de belles paroles, essaya d’inspirer confiance au conseil ; on ne pouvait croire qu’un prince qui laissait ruiner ses sujets fît grand cas de leurs prétentions constitutionnelles. Le bourgmestre Rausin et l’avocat Prié furent envoyés à Vienne pour se plaindre directement à l’empereur. Celui-ci désapprouva la conduite de Ferdinand, mais en termes vagues, d’une manière trop peu explicite pour rassurer les esprits. Henri de Bergh parut devant Liége : le peuple cria à la trahison. Tout ce qu’on put obtenir, c’est que les troupes resteraient à une certaine distance de la ville. Comme on l’a vu plus haut, ce fut Beeckman qui, dans ces conjonctures, fit relâcher le grand prévôt, accusé de connivence avec le général espagnol.

Le temps des élections approchant (1629), Ferdinand décréta qu’elles auraient lieu conformément au rescrit de 1613. Le peuple désignait Beeckman : Erasme de Chokier et Michel de Selys furent proclamés. Cette nouvelle se répand instantanément dans toute la ville ; le désappointement, l’indignation éclatent ; la Violette[2] est investie ; un moment de plus, on va en venir aux armes ; les timides se barricadent dans leurs maisons[3]. Une foule tumultueuse encombre le forum ; le cri : Vive Beeckman ! retentit de toutes parts. Enfin l’élection est déclarée nulle. Déjà les métiers ont tenu séance et porté leurs suffrages sur le

  1. Ibid., Cf. la Lettre sur deux Prophètes (Hist. de Spa, t. II).
  2. L’hôtel de ville.
  3. Verebantur ne plebs tot tantasque illatas sibi anteà injurias cœde proditioneque ulcisceretur (Continuateur de Foullon, t. III. p. 76) ; cf. les Lettres de Bassenge, t. V, p. 1872.