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il est permis d’inférer que les circonstances qui le firent paraître au premier plan, beaucoup plus tard, ne le prirent point au dépourvu, et que les fondements de son immense popularité étaient jetés depuis longtemps, lorsque Ferdinand de Bavière célébra sa joyeuse entrée à Liége, le 27 janvier 1613.

A peine installé, le successeur d’Ernest résolut d’étouffer une fois pour toutes le parti des démocrates, qui avait relevé la tête sous le règne précédent. Il obtint de l’empereur Mathias l’abolition du règlement électoral de 1603 et le rétablissement, sauf quelques modifications, de celui de 1424, dit de Heinsberg[1]. Le but de Jean de Heinsberg avait été d’assurer au prince une large part d’intervention dans l’élection des bourgmestres. Vingt-deux commissaires inamovibles, six à la nomination de l’évêque, seize au choix des trente-deux paroisses de la cité, étaient annuellement appelés, la veille de la Saint-Jacques, à désigner dans chacun des trente-deux métiers « ung homme bon et ydoine » : Ces trente-deux bourgeois s’assemblaient le lendemain et nommaient, à la pluralité des voix, « les deux maistres pour l’année. » Un tel système ne pouvait être accueilli qu’avec la plus grande défiance par une population en tout temps très-susceptible à l’égard de ses souverains : aussi ne fut-il consolidé qu’en 1433, après les scènes sanglantes qui eurent pour dénoûment la défaite et le bannissement des d’Athin, chefs des dissidents. Tour à tour suspendu et remis en vigueur, le règlement de Heinsberg était encore debout en 1602, en dépit des murmures de la bourgeoisie et des abus auxquels son exécution donnait régulièrement lieu[2] ; mais alors un soulèvement populaire, provoqué par l’établissement d’une taxe sur les boissons, prit des proportions telles, qu’Ernest de Bavière se vit forcé d’entrer dans la voie des concessions, et finalement de publier, le 14 avril 1603, une nouvelle constitution communale. Trois membres de chaque métier seraient désormais désignés par le sort ; parmi ces quatre-vingt-seize personnes, le sort en désignerait de nouveau trente-deux, les véritables électeurs. L’effet immédiat de cette réforme fut d’apaiser le peuple, sinon de mettre un terme aux menées des ambitieux ; en revanche, le diplôme impérial de 1613, rétablissant le règlement de Heinsberg, ranima les vieilles haines et souleva de si vifs mécontentements au sein des métiers, qu’ils prirent sur eux de n’en point tenir compte : les élections de 1614 furent faites par leurs délégués. Des commissaires impériaux furent envoyés à Liége ; on n’eut aucun égard à leurs remontrances. L’empereur modifia son rescrit, sans parvenir à le faire respecter ; la Chambre impériale de Spire, saisie de l’affaire[3], la traîna en longueur jusqu’en 1628 et finit par prendre une décision dans le sens du premier diplôme de Mathias. De guerre lasse, le conseil municipal allait céder ; les métiers s’obstinèrent. A la tête des démocrates était Guillaume de Beeckman, que le parti oligarchique soupçonna dès lors de servir intentionnellement, par cette attitude, les intérêts de la France. Susciter des tracasseries aux princes ecclésiastiques du corps germanique, n’était-ce pas, en effet, créer indirectement des embarras à la maison d’Autriche[4] ?

Beeckman exerçait sur les masses un véritable prestige. On voyait en lui comme une incarnation des antiques franchises. Bourgmestre de Liége, il est omnipotent parce qu’il est aimé ; hors de charge, il apaise à son gré, aussi aisément qu’il le soulèverait, le flot popu-

  1. Réglement ou plutôt régiment (regimen) doit se prendre ici dans le sens de constitution communale. (Voir F. Henaux, Hist. de Liége, 2e édit., t. I, p. 288, note 1.)
  2. « Nul ne pouvoit estre XXXII s’il ne promettoit aux commissaires qu’il feroit tels, qu’ils nommoient, bourguemaistres, de manière qu’on scavoit un an devant la Saint-Jacque qui le seront, tant estoit l’abus entre ces messieurs ; et celuy qui donnoit des banquets, ils ne le manquoient à l’office. Ainsy estoit la pauvre cité gouvernée… » (Chroniques de Liége, ap. F. Henaux.)
  3. Ferdinand accumula dans son factum griefs sur griefs. Cette pièce, publiée postérieurement, fit éclater de violents murmures. Elle est connue dans l’histoire sous le nom des cinquante-huit articles.
  4. Villenfagne, Recherches, etc., t. II, p. 86.