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bientôt avec une grande facilité; elle voulut que dès l’enfance, il se familiarisât avec les exercices de la guerre; enfin, cette tendre et pieuse mère fit de son fils un homme distingué par les qualités morales, plein de bravoure, de générosité et d’une piété sincère, mais exempte de bigoterie. Au physique, la nature l’avait admirablement doué : une taille élevée, une force de corps extraordinaire, un air noble; enfin il réunissait dans sa personne tous les signes extérieurs de la puissance.

De très-bonne heure, Godefroid eut l’occasion de montrer son énergie, sa valeur et sa sagesse : son oncle Godefroid le Bossu était mort le 15 février 1076 et lui avait légué le marquisat d’Anvers, le duché de Bouillon et les autres fiefs dépendants de la maison d’Ardenne; mais la femme de Godefroid le Bossu, la célèbre Mathilde de Toscane, ne voulut point reconnaître la validité du testament de son époux, et tenta de priver le jeune Godefroid de la succession de son oncle. Elle parvint à mettre dans ses intérêts le pape Grégoire VII et Ménasses, évêque de Reims. Excité par les intrigues de cette princesse. Ménasses, qui possédait le haut domaine du duché de Bouillon, en investit Albert, comte de Namur. D’un autre côté Thierry, évêque de Verdun, également poussé par la princesse Mathilde, s’empara de sa ville épiscopale, et la donna en fief à Albert. Ce dernier réclamait en outre le duché de Bouillon du chef de sa mère Regelinde, sœur aînée de la mère de Godefroid.

Thierry et Albert réunirent leurs forces et vinrent mettre le siége devant Bouillon (1077). Godefroid n’avait alors que seize à dix-sept ans et sa jeunesse semblait favoriser l’injuste entreprise des deux alliés; mais dans un âge encore aussi tendre, il fit déjà entrevoir les brillantes et solides qualités qui distinguèrent plus tard le héros de la première croisade : soutenu par Henri, évêque de Liége, il se renferma dans Bouillon et s’y défendit avec tant de vigueur, qu’il força ses adversaires à opérer leur retraite. Une fois débarrassé de ses ennemis, Godefroid reprit l’offensive, éleva une forteresse à Stenay, la pourvut d’une nombreuse garnison et porta le ravage dans les terres du Verdunois. L’année même de la mort de son oncle, Godefroid avait assisté aux conférences de Fosses, ouvertes pour terminer définitivement les différends auxquels avait donné lieu la succession de Baudouin de Mons, comte de Flandre et de Hainaut; il donna dans cette circonstance une preuve de sagesse et de modération à laquelle on ne pouvait s’attendre de la part d’un si jeune prince : il renonça aux prétentions que Godefroid le Bossu, son oncle, avait élevées sur la Hollande, prétentions qui l’eussent infailliblement entraîné dans des guerres interminables.

Cependant Godefroid n’avait point obtenu de l’Empereur Henri IV la dignité ducale; elle fut conférée au fils de ce dernier, Conrad d’Allemagne, de sorte que Godefroid, bien qu’il fût un prince puissant qui devait hériter du comté de Bruxelles et de Louvain, ce qui faisait à peu près tout le Brabant actuel, dut se contenter du titre de Marchio ou marquis d’Anvers, marquisat que l’empereur détacha, en sa faveur, du grand fief dont il l’avait privé. Ce ne fut qu’en 1089 qu’il fut créé duc de Lothier, en récompense des services qu’il avait rendus à l’empereur dans les guerres contre ses vassaux et contre le pape.

Ces guerres avaient commencé en 1080; Godefroid n’avait pu se dispenser de prendre part à l’expédition de son suzerain, l’empereur Henri IV, contre Rodolphe de Rhinfeld, duc de Souabe; il assista à la bataille de Volksheim, en Saxe, le 15 octobre 1080, et s’y comporta vaillamment; mais rien ne prouve que la veille de cette bataille, il ait été, comme le plus digne entre tous, proclamé porte-étendard de l’empire; rien ne constate non plus qu’il ait déterminé le succès de cette journée en tuant Rodolphe de Souabe de sa propre main, rien enfin n’autorise à croire que lorsque l’armée de Henri assiégea et prit Rome en 1084, Godefroid soit entré le premier dans la ville éternelle. Tous ces hauts faits exagérés lui ont été attribués par la légende et la poésie, lorsqu’il se fut