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vèrent littéralement sans ressources. La veuve Valette, qui s’était retirée chez eux depuis la mort de son mari, partit pour Metz et décida sans peine son parent l’abbé Guistelle, chanoine de la cathédrale, à leur prêter cinquante louis. Le four fut rétabli dans des conditions meilleures et le prêt bientôt remboursé.

A partir de ce moment, la manufacture de Sept-Fontaines ne cessa de prospérer ; elle prit en peu de temps de vastes proportions. « On y fabriquait, dit M. le docteur Neyen, deux espèces de faïence commune : l’une entièrement recouverte d’email stannifère blanc, l’autre ayant une couverte brune à l’extérieur ; on y fabriquait en outre deux, espèces de faïence fine, l’une ayant une couverte transparente, l’autre un émail blanc. Ces deux faïences fines, l’une nommée terre de pipe, l’autre blanc fin, étaient décorées de peintures bleues ; on les a même pendant quelque temps ornées au moyen de diverses couleurs, cuites au moufle. » Sept-Fontaines livrait aussi au commerce des statuettes en biscuit de porcelaine tendre, modelées avec beaucoup de goût par de véritables artistes (entre autres par le Suisse Spengler). Les Pâris, les Baigneuses, etc., qui figuraient dans les jardins à l’italienne des frères Boch, étaient des produits de l’établissement.

L’impératrice Marie-Thérèse se déclara la protectrice de nos vaillants industriels. En 1767, elle leur accorda de beaux priviléges, notamment l’autorisation « de creuser la terre là où ils voudraient pour la recherche des argiles et sables, moyennant indemnité à dire d’expert ; » le droit de placer les armes de l’Empire sur la façade de la fabrique, désormais manufacture impériale et royale ; le droit de prendre pour cachet l’aigle à deux têtes, etc. Plus tard, le gouvernement leur offrit la prohibition des faïences étrangères ; mais ils refusèrent généreusement cette nouvelle faveur[1].

Sept-Fontaines avait tellement gagné en importance, dès 1781, que les bourgeois de Luxembourg se plaignirent à Joseph II de ce que les frères Boch faisaient renchérir le bois. — Survinrent les jours d’épreuve. Les Français envahirent le Luxembourg, en 1795. Les maisons d’ouvriers qui s’étaient successivement élevées autour de la faïencerie formaient déjà un petit village. Le général Lebrun, motivant son ordre sur la proximité de la forteresse, enjoignit aux habitants de Sept-Fontaines de quiter leurs maisons, et ce dans le délai de deux heures, s’ils ne voulaient être canonnés. Pierre-Joseph plaça sur une grande charrette sa femme avec un enfant au maillot et son frère Dominique malade ; lui-même les suivit à pied, accompagné des autres membres de sa famille. Il obtint cependant le lendemain, du général Davoust, la permission de déménager en toute hâte ce qu’il avait de plus précieux. Mais la fabrique fut entièrement dévastée et saccagée : toutes les boiseries, les planchers même furent transportés au camp pour servir au chauffage de l’ennemi. Le dommage fut évalué à six cent quarante-huit mille francs !

Les frères Boch rompirent alors leur association. Quoique âgé de soixante ans, Pierre-Joseph garda pour sa part les ruines de la faïencerie. « J’ai fait ma fortune par le travail, dit-il ; je saurai la refaire de même ; je rebâtirai les maisons incendiées et je ne vendrai pas un champ. » Et il tint parole.

Un ami lui prêta sans intérêts vingt ou vingt-cinq mille francs ; il releva ses fours. Il remplaça la craie de Champagne, qu’il ne pouvait plus se procurer, par un tuf calcaire indigène. Il apprit à se passer du sable des Vosges et de la soude d’Alicante, et à fabriquer lui-même le minium, qu’il appelait mine rouge de plomb. Il se refit ouvrier et prit comme auxiliaire son fils aîné, qui avait fréquenté, à Paris, le cours de Vauquelin.

Ce zèle opiniâtre obtint sa récompense. La fabrique prospéra, s’agrandit, et Boch fut encore une fois la providence du pays. Chrétien et philanthrope éclairé, il se

  1. Les faïences du grand-duché de Luxembourg ont été admises à entrer en Belgique en franchise de droits, par la loi du 6 juin 1839. Les faïenciers belges ont réclamé le retrait de cette loi. (Exposé de la situation du royaumre, 1851-1860, t. III. p. 137.)