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ter au sensualisme des arguments contre la métaphysique cartésienne. Le P. Blundell, péripatéticien déterminé, théologien sévère et fidèle à la tradiliou de son ordre, entreprit une croisade contre les idées nouvelles. Il semble cependant avoir pressenti l’écueil qu’on vient de signaler : il entama la discussion contre Gassendi aussi résolument que contre Descartes. Son attachement à l’école ne nuisit en rien à sa sincérité : il y avait en lui un singulier mélange de timidité et d’indépendance d’esprit. Loin d’opposer à ses adversaires des fins de non recevoir, il tient à honneur de légitimer aux yeux de tous les conclusions qu’il sent lui être imposées, et de présenter dans toute leur force les arguments qu’il veut renverser. Il invoque, il est vrai, l’unanimité des docteurs et des savants pendant plusieurs siècles, pour établir que Descartes ne saurait avoir raison ; mais en même temps il aborde franchement au fond la question métaphysique, quand il soutient l’impossibilité d’expliquer l’Eucharistie par la théorie de l’indistinction de la substance et des accidents (par parenthèse, ce fut là précisément le sujet des premières discussions de Descartes et d’Arnauld) ; il pénètre au cœur de la doctrine du nouveau maître et en signale le côté faible, lorsqu’il montre que les phénomènes dont Descartes s’efforce de rendre compte au moyen des seules données de la figure, de l’étendue et du mouvement, ne sont pas les phénomènes de la nature, mais ceux d’un monde de fantaisie. Il n’est pas moins pressant contre les atomistes, quand il met en relief l’absurdité de l’explication des phénomènes de croissance et de développement, chez les êtres vivants, par de simples changements de disposition des corpuscules primitifs ; quand il déclare qu’on ne peut parler d’atomes du moment qu’on admet la proposition : Nihil est in intellectu quod non antè fuerit in sensu ; et qu’enfin le vide se conçoit comme possible, mais non comme existant. Evidemment le P. Blundell, malgré son assurance, se sentait profondément remué : il croyait voir la religion en danger et il songeait a aut tout à la défendre ; mais il est visible qu’il éprouvait le besoin de se convaincre lui-même et de ne pas se payer de mots, comme beaucoup de ses contemporains : à ce titre, le souvenir de son enseignement mérite d’être conservé : par ses prémisses et par les discussions qu’il embrasse, cet enseignement caractérise bien les préoccupations et les pressentiments d’une époque de transition. Le manuscrit contenant les Dictata du P. Blundell est précédé d’un petit poëme latin d’une grande naïveté, rédigé probablement par un de ses élèves, et célébrant la victoire d’Aristote sur une légion d’animaux-machines prêts à le broyer entre leurs dents d’automates. Nouveau Pygmalion, Aristote donne la vie et le mouvement à ces créations fantastiques de son rival, et aussitôt les monstres reconnaissants se tournent contre celui-ci. Mais le Stagirite, toujours magnanime, apaise leur courroux d’un seul mot : Descartes l’échappe belle. Pourtant ce n’est pas tout : une nuée de philosophes conjurés s’élancent sur le vieux maître, qui défie leur fureur et reste immobile, debout au milieu d’eux, semblable à un roc vainement battu par les vagues courroucées. Cessez donc de mettre en balance Aristote et Descartes :

Hic censendo docens, ille sciendo docet.

Ce censendo vaudrait de l’or, si l’immortel auteur du traité de la Méthode n’avait pas lui-même fait abus des hypothèses dans la partie dogmatique de sa philosophie. Quoi qu’il en soit, si le P. Blundell soutint une lutte impuissante en faveur d’un système décidément suranné, il combattit avec un zèle chevaleresque et une habileté de dialectique qui lui valurent sans doute une influence méritée à Liége, où l’on s’inquiétait beaucoup alors de ces problèmes, plutôt au point de vue religieux, du reste, qu’au point de vue philosophique. — Le P. Blundell s’était fortement imprégné des idées du P. Kircher : sans nier absolument la possibilité des transmutations, il tenait l’alchimie en défiance. Il se montrait encore plus réservé au sujet de la magie, et considérait un grand nombre de prétendus prodiges cuninic pouvant