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revenu récemment de Rome, tint le même langage. Les bourgeois de Valenciennes, qui depuis un quart de siècle avaient pu oublier Baudouin, qui assurément le connaissaient moins bien que les chevaliers, se pressèrent sous les ombrages de Glançon. Baudouin était né dans leurs murailles, et rien n’égalait leur enthousiasme. « Vous êtes notre comte, vous êtes notre seigneur ! » s’écriaient-ils. Le solitaire répondit d’abord : « Je ne suis qu’un pauvre pécheur et je me suis retiré ici pour expier mes fautes ; » mais plus tard, feignant de céder à ce touchant témoignage du dévouement et de la fidélité de ses sujets, il éleva la voix et dit : « Je l’avoue, je suis le comte Baudouin de Flandre, et bientôt vous verrez mes plus intrépides compagnons de la croisade quitter l’Orient pour se ranger autour de moi. » Il fit plus ; il aborda le récit de ses malheurs et de ses aventures. L’amour d’une princesse bulgare l’avait arraché à un horrible supplice ; mais il avait trouvé d’autres ennemis et d’autres prisons. Sept fois on l’avait vendu comme esclave, et le fier vainqueur des Comnène, à ce qu’il rapportait lui-même, était attelé à une charrue au milieu des bêtes de somme, quand des marchands allemands l’aperçurent et le rachetèrent. Ces étranges révélations accrurent le respect qu’on lui portait. On l’honorait à la fois comme un héros et comme un martyr. On baisait les cicatrices des plaies qui avaient été faites par le fer des Bulgares, ou conservait comme des reliques quelques cheveux tombés de sa tête blanchie par l’âge et par les douleurs, on recueillait même avec soin, disent les chroniqueurs, l’eau dans laquelle il s’était baigné.

Déjà le solitaire avait quitté les bois de Glançon, et la chlamyde impériale avait remplacé les haillons qui le couvraient. Toutes les cités de la Flandre et du Hainaut le saluèrent des plus bruyantes acclamations.

Se Diex fust en tière venus,
Ne fust-il pas mieus recéus[1].

Rien ne manquait à l’éclat qui entourait le faux empereur rendu à l’affection de ses peuples. On voyait autour de lui de nombreux chevaliers, dont quelques-uns avaient été récemment armés de sa main. Les ducs de Brabant et de Limbourg lui envoyaient leurs ambassadeurs ; ce qui était bien plus important et ce qui nous permet de reconnaître l’influence politique du parti de Bouchard d’Avesnes, le roi d’Angleterre, Henri III, lui faisait proposer une alliance pour combattre le roi de France leur ennemi commun.

Où se trouvait alors la comtesse Jeanne de Flandre ? Elle était à Paris, et sans doute les populations de la Flandre et du Hainaut n’hésitèrent pas à croire que Louis VIII la retenant par violence, l’empêchait de se jeter dans les bras de son père ; plus tard, elles accusèrent Jeanne de méconnaître tous les devoirs de la piété filiale, et nous verrous qu’on ne lui épargna pas même l’accusation de parricide.

Ce fut à Paris que le roi Louis VIII et la comtesse Jeanne conclurent un traité par lequel celle-ci s’engageait à payer tous les frais qu’entraînerait l’expulsion de celui qui avait pris le nom de Baudouin. Il fut convenu qu’on l’engagerait à se rendre à Péronne en lui donnant l’espoir que le roi de France reconnaîtrait ses droits.

L’empereur Baudouin se fût hâté de prendre les armes pour venger la défaite de Bouvines. Le ménestrel Bertrand se flatta de la présomptueuse illusion que tout s’inclinerait devant lui quand il se serait montré en empereur au roi de France. Il se rendit à Péronne, dans une litière que précédait la croix impériale. Il tenait une baguette blanche à la main, et plus de cent chevaliers l’accompagnaient. Un banquet était préparé. Le solitaire du bois de Glançon y prit place à côté du roi, et, dans un récit plein de dignité, il reproduisit le tableau de ses malheurs. Mais lorsque le banquet fut terminé, soit que la fumée du vin eût quelque peu troublé l’esprit du vieillard, soit qu’il se sentît glacé par quelques paroles menaçantes de Louis VIII, il ne répondit plus qu’avec hésitation aux

  1. Mouskès, v. 24853.