hautement la conduite de leur souverain. Ils ne se décidèrent à partir qu’avec la plus grande répugnance. D’abord il n’avait été question que de Berghes ; mais le marquis déclara formellement qu’il ne quitterait pas Bruxelles sans Montigny, qui s’était acquitté avec honneur d’une première mission à la cour de Madrid. Un courrier les précéda, porteur d’une lettre de Marguerite : la régente engageait le roi à témoigner de la bienveillance aux deux envoyés, à faire même des efforts pour les gagner. Mais l’opinion de Philippe était formée ; d’ailleurs ses autres correspondants, Granvelle entre autres, ne manquaient jamais de représenter Berghes et Montigny, et surtout le premier, comme les instigateurs de tout ce qui était arrivé (Correspondance de Philippe II, t. I, pp. 411, 417, 425, etc.). Le départ des négociateurs avait été fixé au 30 avril 1566. Le dimanche 28, il arriva que Berghes, jouant au mail dans le Parc, fut frappé, à la jambe, d’une pelote qui lui fit tant de mal, qu’il se mit au lit avec la fièvre. On crut d’abord que ses souffrances étaient feintes : Marguerite le fit visiter par son médecin ; celui-ci déclara que le blessé ne serait pas en état de se mettre en route avant un mois. Montigny refusa d’abord de partir seul ; il fallut de longs pourparlers pour l’y décider, d’autant plus que Berghes regardait le voyage comme inutile. Enfin il quitta Bruxelles le 30 mai ; le 17 juin, il était à Madrid, où Philippe, qui savait dissimuler, lui accorda coup sur coup deux longues audiences et le traita de manière à le tranquilliser sur ses dispositions à l’égard des seigneurs belges. Montigny s’y laissa prendre ; or, presque au même moment, le roi écrivait à la duchesse une lettre où il ne déguisait point ses véritables sentiments ! Montigny, se conformant à ses instructions, insista sur l’urgente nécessité d’abolir l’inquisition, d’accorder un pardon général, enfin de sanctionner un projet de modération des placards, projet dont il était porteur[1]. Philippe répondit que c’étaient là choses de grande conséquence, demandant mûre réflexion. Un conseil composé d’Espagnols et de Belges s’assembla au château de Valsain ; mais l’ambassadeur en demeura exclu, à sa grande mortification. On lui communiqua les résolutions prises à la suite de longs débats : elles étaient très-peu claires à l’endroit de l’inquisition. Il se plaignit ; on lui répondit que le roi était le maître ; il répliqua que son devoir l’obligeait à protester, et s’exprima si nettement à cet égard, parlant à Philippe lui-même, qu’il le fit changer de couleur (hasta que puso color a S. M.). La position de Montigny était d’autant plus pénible que Berghes n’arrivait pas. Celui-ci avait pu partir le ler juillet ; mais il avançait à petites journées, presque toujours en chariot ; sa blessure le faisait encore souffrir, et la fatigue du voyage avait réveillé d’anciennes infirmités ; peut-être aussi, ajoute M. Gachard, pressentait-il vaguement la fin qui l’attendait en Espagne. Il envoya Aguilara, son majordome, à Montigny, afin de savoir si le roi tenait absolument à l’entretenir, ou s’il n’obtiendrait pas, en égard à sa mauvaise santé, l’autorisation de retourner aux Pays-Bas. Le roi insista pour le voir : le 17 août, Berghes arriva au château de Valsain. Circonstance qui aurait dû lui donner à réfléchir, il ne reçut point, comme Montigny, la visite des principaux seigneurs de la cour ; toutefois le roi, qu’il voyait tous les jours en s’acquittant de ses fonctions de gentilhomme de la chambre, ne lui fit pas mauvais accueil. De nouvelles conférences eurent lieu, mais n’aboutirent à rien : il est évident que Philippe ne cherchait qu’à amuser les envoyés belges. Au moment où l’on s’y attendait le moins, l’heure fatale sonna. Une dépêche de Marguerite de Parme apporta la nouvelle du saccagement des églises et des excès de tout genre commis par les iconoclastes ; la gouvernante entrait dans le détail des concessions que ces tristes événements lui avaient arrachées. L’indignation, l’exaspération des Espa-
- ↑ Voir dans Gachard, ouv. cité, p. 342, un extrait de ce projet. « Quelle modération ! s’écrie Schiller. Das Volk sie in seinem Unwillen anstatt Moderation (milderung) Moorderation (d. i. Mörderung) nannte. » Ed. de Carlsruhe, p. 273.