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que temps absentés, pour dire qu’ils n’y remettraient plus le pied, si leur adversaire y revenait encore. Au fond, Marguerite ne se sentait pas à l’aise sous la tutelle de Granvelle ; aussi bien commençait-elle à reconnaître l’impossibilité d’une réconciliation. Son secrétaire Armenteros partit pour Madrid, avec mission d’exposer franchement au roi le pour et le contre. En même temps elle fit venir d’Orange et De Berghes (celui-ci menait toute l’affaire, s’il faut s’en rapporter aux lettres du cardinal), pour les exhorter à prendre les rênes du gouvernement. Cependant le roi se renfermait dans un mutisme absolu ; les seigneurs ne contenaient plus leur impatience. L’esprit public commençait à s’émouvoir : des pasquinades circulaient ; on affectait de porter partout une livrée particulière adoptée par les seigneurs : un chaperon de fou, allusion au chapeau de cardinal, disait-on ; des têtes figurées sur les ailerons des manches : les têtes de Granvelle et de son second le duc d’Arschot, supposait-on. Sans montrer de la défiance envers les seigneurs, Marguerite pria d’Egmont de supprimer ces insignes : il les remplaça par un faisceau de flèches, ce qui donna lieu à de nouveaux commentaires. Enfin Marguerite insista elle-même pour le départ de Granvelle : d’Egmont lui avait dit que s’il se montrait encore, on ne pouvait répondre de rien. Il fallut céder (13 mars 1564) : le cardinal se retira dans son pays natal, à Besancon, sauf à exercer ultérieurement, sur les affaires des Pays-Bas, une influence que son éloignement de Bruxelles ne devait affaiblir en aucune manière.

L’orage semblait apaisé ; mais le roi n’entendait pas transiger avec les religionnaires. Or l’inquisition inspirait aux Belges une horreur indescriptible : on vit se renouveler à Bruges, à Bruxelles, à Anvers, les scènes de Valenciennes. Le peuple murmura contre la publication des décrets du concile de Trente. D’accord avec les états, la régente envoya d’Egmont à Madrid, pour exposer au roi la situation déplorable du pays. L’ambassadeur fut bien reçu ; on lui laissa croire tout ce qu’il voulut ; mais à peine rentré en Belgique, il vit s’évanouir illusions et espérances. Philippe brûlait ses vaisseaux ; il ne cédait rien. « Nous allons voir, s’écria Guillaume d’Orange, une sanglante tragédie. » Et en effet le gouvernement n’eût pu mieux s’y prendre pour désaffectionner toutes les classes de la population. Marguerite ne cessait d’avertir le roi : on ne pouvait compter, écrivait-elle, sur la coopération des gouverneurs, et pourtant Philippe les connaissait pour des serviteurs fidèles. Le marquis De Berghes offrit sa démission de toutes ses charges plutôt que de se prêter à l’exécution des placards contre les hérétiques ; la plupart de ses collègues envoyèrent à la gouvernante des remontrances dans le même sens ; les quatre chefs-villes du Brabant protestèrent contre l’inquisition. Berghes et ses amis se réunirent à Bréda, puis à Hoogstraeten, pour se concerter ; ces allées et ces venues, dont le but restait un mystère, plongeaient Marguerite dans la plus pénible anxiété. Les événements se précipitèrent : les nobles signèrent leur fameux compromis[1] et exposèrent solennellement à la régente les griefs de la nation. Elle promit de soumettre au roi la requête des confédérés ; cette mission délicate, périlleuse même, fut confiée au marquis De Berghes et au seigneur de Montigny, frère puîné du comte de Hornes.

Il eût été difficile de choisir des députés personnellement plus désagréables à Philippe[2] ; mais la nécessité faisait loi. Aux yeux du roi, Montigny était un mauvais catholique ; il avait mangé publiquement de la viande à Tournai, pendant le carême. Quant à Berghes, on sait quelles étaient ses opinions sur l’intervention du bras séculier dans les affaires de conscience ; enfin l’un et l’autre passaient pour avoir blâmé

  1. Jean de Berghes n’apposa pas son nom au bas de cet acte. Le comte De Berghe, qui figure parmi les signataires, portait le prénom de Guillaume et appartenait à une famille gueldroise.
  2. Voir Gachard, Don Carlos et Philippe II. ch. XI. p. 339, et Prescott, Hist. du règne de Philippe II, t. III, ch. VI.