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suprême d’Adélard. Tous les points de la règle de Saint-Benoît s’y observaient avec autant d’exactitude que de ferveur. Adélard, qui craignait que le relâchement ne s’introduisît peu à peu après sa mort parmi ses disciples, tâcha de le prévenir en composant son livre des Statuts pour la direction des deux monastères[1].

Le saint abbé, épuisé de travaux, tomba malade à l’Ancienne-Corbie, deux jours avant la Noël. Son disciple Hildeman, évêque de Beauvais, lui administra les derniers sacrements et l’assista jusqu’à l’heure de sa mort, qui arriva le 2 janvier 826 ou 827, selon le nouveau style. Son frère Wala lui succéda dans la dignité abbatiale[2].

Saint Paschase Radbert, saint Anschaire, l’apôtre de la Suède, et plusieurs autres hommes illustres par leurs vertus se formèrent à l’école d’Adélard. Agobart de Lyon, Hincmar de Reims et divers autres écrivains de cette époque ne parlent de lui qu’avec éloge et vénération. Paul Warnefride et Alcuin, avec lesquels il avait été lié d’amitié, ne faisaient pas moins de cas de son rare mérite. L’étendue de ses connaissances littéraires l’avait mis en état, mieux que personne, de ranimer l’amour des bonnes études dans ses monastères et de s’intéresser partout au progrès des sciences. Il possédait le latin, le tudesque et le roman[3]. Il avait profité de son exil dans l’île de Her (814-821) pour faire transcrire les livres de plusieurs écrivains de l’antiquité. La copie de l’histoire tripartite de Cassiodore, qui était conservée autrefois à la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés à Paris, avait été faite par ses soins[4].

Son savoir et son éloquence le faisaient comparer à saint Augustin. On le surnomma aussi le Jérémie et l’Antoine de son siècle. L’un de ces noms lui fut donné à cause du don des larmes qu’il avait reçu de Dieu, et l’autre pour le zèle qu’il mettait à imiter les vertus des gens de bien qu’il connaissait. C’est sous ce nom d’Antoine qu’Alcuin lui a adressé une lettre dans laquelle il l’appelle son cher fils, ce qui a fait croire qu’Adélard avait été disciple de ce maître célèbre[5].

Le corps d’Adélard avait été enterré sous le clocher de l’église abbatiale, entre ceux de quatre autres abbés[6] ; mais, Dieu ayant fait connaître par des miracles la sainteté de son serviteur, le pape Jean XIX, ou, selon d’autres, Jean XX, permit qu’on levât le corps de terre pour le mettre dans une châsse. On en fit la translation avec une grande solennité, en 1040. Saint Gé-

  1. Voyez ci-dessous la notice de ses écrits.
  2. Voyez Gallia Christ. nova, t. X, p. 1268.
  3. Mabillon, dans ses Annales Benedict., t II, p. 499, dit : Trium linguarum peritiam habebat, romanœ vulgaris, teutiscœ seu teutonicœ et latinœ. Le ixe siècle nous a transmis bien peu de monuments des langues vulgaires parlées sous les Francs. Pour le tudesque, nous avons le chant de victoire de Louis III, de l’an 881, la paraphrase de l’Évangile par le moine Otfried, le poëme sur le jugement dernier que Schmeller a publié, sous le titre de Muspulli, les vingt-six hymnes de l’Église éditées par Grimm et quelques autres pièces. Sur la nature et le caractère de la langue romane à cette époque, les premières données s’en trouvent dans les serments que les deux frères Charles le Chauve et Louis le Germanique préterent à Strasbourg, en 842, pour s’opposer aux entreprises de l’empereur Lothaire. Ils ont été publiés, d’après la chronique de Nithard, par Grandidier (Histoire de l’Église de Strasbourg, t. II, p. ccxviii, des pièces justificatives), et par Roquefort, dans le discours préliminaire de son Glossaire de la langue romane. Ce monument constate que la langue romane est née de la corruption du latin ; c’est ce qu’est venu confirmer un petit poëme en l’honneur de sainte Eulalie, découvert par M. Hoffmann à Valenciennes, en 1837, dans un manuscrit provenant de la bibliothèque d’Elnon, autrement dit de Saint-Amand. Feu M. Willems a publié cette pièce ainsi que le Chant de victoire de 881, avec une traduction et des remarques, dans ses Elnonensia, Monuments de la langue romane et de la langue tudesque du ixesiècle ; seconde édition. Gant, 1843, in-8o.
  4. Mabillon (De Re diplom., p. 352) a fait graver les premières lignes de ce manuscrit en caractères lombardiques ainsi que l’ancienne note qui en constate l’origine : Hic Codex Hero insula scriptus fuit, jubente sancto Patre Adalhardo, dum exularet ibi. Ce précieux volume ne se retrouve plus aujourd’hui ; il a été dérobé après la suppression du monastère de Saint-Germain. Voyez Léopold de Lisle, Recherches sur l’ancienne bibliothèque de Corbie, dans la Bibl. de l’École des chartes, 5me série, t. I, p. 404.
  5. Epist. CXLIV, dans la belle édition des Œuvres d’Alcuin, publiées, en 1777, par Froben, prince-abbé de Saint-Emméran, à Ratisbonne, t. I, p. 205.
  6. L’épitaphe suivante avait été placée sur sa tombe :

    Hic jacet eximius meritis venerabilis Abbas
    Noster Adalhardus dignus honore senex.
    Regia prosapies, paradisi jure colonus,
    Vir caritate probus, moribus atque fide.
    Quem dum sub tumulo recolis tu quisque viator,
    Cerne quid es, quid eris, mors quia cuncta rapit.
    Nam post Octavas Domini hic carne solutus,
    Succedente die astra petivit ovans.