Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 1.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec l’Égypte et où s’organisaient tous les ans des expéditions destinées à inquiéter la capitale même du royaume latin. Mais il ne se trouvait pas en force pour entreprendre une attaque contre cette formidable forteresse. Il songea donc à s’emparer d’abord de Saint-Jean-d’Acre, dont le port était un des plus sûrs qu’il y eût sur toute la côte. En 1103, il entreprit le siége de cette place ; mais il ne put réussir à la réduire par les armes. L’année suivante, il fut plus heureux ; ayant engagé une flotte de Génois, qui avait passé l’hiver à Laodicée, à concourir à l’attaque de la ville, en leur promettant, en cas de succès, le tiers des péages dont seraient à l’avenir frappés les navires qui y aborderaient, outre un quartier soumis à leur propre juridiction, il renouvela le siége au printemps suivant et força la garnison à se rendre. En 1104, il planta ses tentes devant Tripolis, que les Génois enfermèrent du côté de la mer ; mais il ne parvint à enlever cette ville que le 10 juin 1109. Vers la fin de l’hiver, il se porta devant Bairouth et, avec le secours des Pisans, il s’en rendit maître dans le courant du mois d’avril 1110. Avant la fin de la même année, il fut maître de Sidon, grâce à la coopération d’une flotte que Sigurd, roi de Norwége, avait conduite en Orient. Après cette nouvelle conquête, il ne lui restait plus, pour dominer tout le littoral de la Syrie, depuis Laocidée jusqu’à Jaffa, qu’à réduire la place de Tyr. Quoiqu’elle fût bâtie sur une île rendue inaccessible de tous les côtés par les eaux de la mer et défendue par trois enceintes de murailles, il entreprit de s’en emparer. Après avoir demandé vainement à l’empereur Alexis le secours d’une flotte, il fit rassembler devant la ville tous les navires qui se trouvaient dans les différents ports et coupa du côté de la terre toutes les communications des Tyriens à l’aide d’une armée de dix mille hommes. Mais, faute de moyens suffisants pour atteindre l’ennemi, ce siége, commencé à la fin de novembre 1111 et connu pour l’un des plus mémorables dont l’histoire des croisades fasse mention, il fut forcé de le lever vers le commencement de l’été suivant, non sans avoir accompli des prodiges de courage et d’audace.

Car il n’avait cessé d’être, sous la pourpre comme sous la cotte de mailles du guerrier, le chevalier le plus vaillant de son armée et le plus hardi à braver tous les dangers. Souvent même il poussait le courage jusqu’à la témérité. Un jour, se trouvant en présence de l’ennemi, il dit à Étienne de Blois qui lui recommandait de ne pas trop se hâter d’engager le combat :

— Quand même vous ne seriez pas tous avec moi, les païens qui sont là devant nous n’échapperaient point à mon épée.

Un autre jour, en 1103, comme il résidait à Jaffa, il sortit de la ville avec dix chevaliers pour se livrer au plaisir de la chasse, et s’aventura avec cette faible troupe jusque dans les forêts voisines de Césarée, lorsqu’on vint lui annoncer qu’une bande de soixante guerriers musulmans rôdait dans les environs et répandait l’épouvante dans toute la contrée. Bien que ni lui ni ses compagnons, tous simplement armés d’une épée, d’un arc et d’un trousseau de flèches, n’eussent ni cuirasse ni bouclier, il voulut se mettre à la recherche des ennemis ; et, les ayant atteints, il se jeta le premier au milieu d’eux, semant, comme toujours, la mort et la terreur autour de lui. Mais, au moment où, arrêté tout à coup devant un buisson, il détournait son cheval, il fut frappé si vigoureusement d’un coup de lance par un musulman embusqué dans les broussailles, qu’il tomba à terre, baignant dans son sang et que ses compagnons le crurent mort. Surexcités par cette conviction et animés du désir de le venger, ils assaillirent les ennemis avec tant d’impétuosité et de fureur qu’ils en tuèrent un grand nombre et mirent le reste en fuite. Combien fut grande leur joie lorsque, ayant rejoint leur chef, ils reconnurent qu’il vivait encore ! Ils lui firent aussitôt une civière de branchages et le transportèrent à Jérusalem où, grâce aux soins d’un mire expérimenté, il ne tarda pas à guérir et à reprendre sa force première, bien que cette blessure fût regardee plus tard comme la cause déterminante de sa mort.