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ses compatriotes, mais encore tolérer toutes les exactions et les violences auxquelles il leur plaisait de se livrer. Leur mécontentement se transforma bientôt en un complot auquel prirent part quelques chefs musulmans établis dans le voisinage et qui eut pour objet d’assassiner le prince ou au moins de chasser tous les latins du comté. Heureusement, avant que la conspiration eût eu le temps d’éclater, elle fut dénoncée à Baudouin par un des principaux habitants d’Édesse que les conjurés avaient essayé vainement d’attirer dans leur parti. L’entreprise avorta de la sorte. Le comte fit saisir les coupables, ordonna que deux des chefs fussent aveuglés et ne rendit la liberté aux autres que moyennant une forte rançon, se contentant de faire mutiler ceux qui n’avaient pas de quoi racheter leur liberté. Les amendes imposées aux auteurs de ce complot produisirent la somme considérable de soixante mille besants, que Baudouin partagea libéralement entre ses compatriotes et ses adhérents, augmentant ainsi sa renommée de largesse et de magnificence.

Cependant il n’échappa à ce danger que pour se voir bientôt exposé à un autre péril. Sous prétexte de lui vendre le château d’Amacha, Balak, ancien émir de Saroudsch, voulut traîtreusement l’attirer dans cette place forte. Mais, prévenu par un de ses chevaliers, qui se défiait de la loyauté des gens de l’émir, Baudouin n’y envoya que dix de ses hommes, que les musulmans firent immédiatement mettre aux fers, croyant que le comte lui-même était du nombre. Quoique déçus dans leur attente, ils ne relâchèrent point les captifs, dont la plupart échappèrent par la fuite ou furent échangés contre des prisonniers tombés entre les mains des chrétiens ; deux seulement furent décapités.

Dans ces entrefaites, les croisés accomplirent la prise de Jérusalem. Ce fut le 8 juillet 1099 qu’ils s’emparèrent de la ville sainte. Ni Baudouin, ni Bohémond de Tarente n’eurent la gloire de concourir à ce grand fait d’armes, tous deux ayant trouvé à satisfaire leur ambition en se taillant un État presque souverain dans le territoire de l’empire d’Orient, l’un en créant à son profit le comté d’Édesse, l’autre en érigeant à son bénéfice la principauté d’Antioche. Vers la fin de l’automne seulement, Baudouin, après qu’il eut assuré ses possessions contre les attaques que les hordes musulmanes pourraient diriger contre elles pendant son absence, se décida à visiter Jérusalem et à y passer, avec Bohémond, les prochaines fêtes de Noël. Puis, ayant visité pieusement tous les lieux saints, il rentra dans son comté, où, l’année suivante, vers la fin d’août, il reçut la nouvelle de la mort de son frère Godefroid, qui avait fermé les yeux le 17 du même mois.

Prévoyant les divisions intestines qui, après sa mort, ne manqueraient pas de déchirer le royaume, Godefroid, avant de rendre le dernier soupir, avait fait jurer solennellement à Dagobert, patriarche de Jérusalem, qu’il mettrait en œuvre toute son influence pour assurer la couronne à un prince de la maison de Lotharingie. Cependant, à peine Godefroid eut-il expiré, que l’astucieux prélat faussa son serment et commença à intriguer pour faire porter au trône Bohémond de Tarente. D’autres manœuvraient pour faire conférer la pourpre à Raymond, comte de Toulouse. Au milieu de ces dissentiments, personne, si ce n’est quelques fidèles partisans de Godefroid, n’avait songé d’abord à Baudouin, à qui Tancrède surtout se montrait hostile pour l’injure qu’il avait reçue naguère sous les murs de Tarse. Mais, grâce à l’appui que les amis de Godefroid trouvèrent dans l’archidiacre Arnulf, gardien officiel du saint sépulcre, ils purent bientôt constituer un parti puissant en faveur de Baudouin. Averti par eux, celui-ci se hâta aussitôt de rappeler d’Antioche son neveu Baudouin du Bourg, fils de Hugues de Rhétel, pour l’investir du comté d’Édesse. Puis, ayant rassemblé quatre cents lances et mille hommes de pied, il s’achemina vers Jérusalem, dès les premiers jours d’octobre. Il se dirigea d’abord vers Antioche, où sa femme s’embarqua pour Jaffa ; ensuite, il prit route par Laodicée vers Tripoli, où il apprit que les Turcs occupaient avec des forces imposantes,