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espagnols qui inspiraient les résolutions de l’infante[1]. Les murmures, du reste, comme nous l’avons dit ailleurs[2], étaient unanimes dans le pays : tout le monde attribuait la perte de Bois-le-Duc et de Wesel à la mauvaise direction des affaires, mais surtout à l’incapacité des généraux envoyés d’Espagne pour remplacer Spinola. La cour de Madrid, quoique avertie de l’état des esprits aux Pays-Bas, n’ayant pas donné satisfaction à l’opinion publique, le désir d’un changement de gouvernement gagna peu à peu une grande partie de la population de ces provinces. Plusieurs des chefs de la noblesse entrèrent dès lors en relations, les uns avec le prince d’Orange, les autres avec le cardinal de Richelieu. Parmi eux, il y en avait qui ne recherchaient l’appui de l’étranger que pour chasser les Espagnols des Pays-Bas, lesquels se seraient alors gouvernés eux-mêmes, à l’instar des Provinces-Unies[3] ; mais tous n’étaient pas animés du même patriotisme, et quelques-uns étaient prêts, en vue d’avantages personnels, à sacrifier la nationalité belge. Ce fut le comte Henri de Bergh qui se déclara le premier, et son exemple ne tarda pas à être suivi par le comte de Warfusée. L’un et l’autre se retirèrent au camp du prince d’Orange.

Albert de Ligne était lié d’une étroite amitié avec le comte de Bergh ; celui-ci le traitait de fils, et il appelait le comte son père[4]. Aussi crut-on assez généralement qu’il avait été initié aux projets et aux machinations du comte ; on disait même qu’il avait promis de se déclarer son lieutenant[5]. Il démentit ces bruits et ces conjectures par la conduite qu’il tint lorsque, au mois de juillet 1632, l’infante Isabelle convoqua les chevaliers de la Toison d’or, pour leur communiquer la trahison dont l’un des principaux chefs de l’armée venait de se rendre coupable, et faire appel à leur fidélité et à leur dévouement : non-seulement il se rendit à cette assemblée, mais encore il déclara hautement à plusieurs de ses amis que le comte de Bergh était le plus grand traître du monde[6]. Pour mieux témoigner de ses sentiments, il servit dans la campagne de 1633, sous les ordres du marquis d’Aytona, avec les deux régiments qu’il commandait.

Cependant les avis de la conspiration envoyés par Gerbier au comte-duc d’Olivarès[7], le désignaient comme y ayant, participé. On savait aussi qu’il y avait eu des rapports suivis entre lui et le doyen de Cambrai, François de Carondelet, qui avait été l’intermédiaire du comte d’Egmont et du prince d’Epinoy avec le cardinal de Richelieu ; ses liens de parenté et d’intimité avec le prince étaient aussi un motif de le rendre suspect. Enfin il avait été plus d’une fois léger, inconsidéré dans ses propos. De là l’ordre que Philippe IV, le 18 mars 1634, donna au marquis d’Aytona de le faire arrêter[8].

Albert de Ligne se trouvait en ce moment à Bruxelles. Le 27 avril, il en partit avec la princesse sa femme pour aller faire ses dévotions à Notre-Dame de Hal ; de là il devait aller s’établir à son château de Barbançon : il était absolument sans défiance. Le marquis d’Aytona, qui connaissait à l’avance ses projets, fit, la nuit, sortir d’Anvers deux compagnies de cavalerie, sous la charge du châtelain, lesquelles, arriva à Hal, enlevèrent le prince, qu’elles conduisirent à la citadelle d’Anvers[9]. Quelques jours après, un acte expédié par le conseil privé, sous le nom du roi,

  1. Interrogatoires du prince, en 1634.
  2. Voy. Biogr. nat., p. 390.
  3. Dans un mémoire du maréchal de camp d’Hauterive, envoyé par Louis XIII sur les frontières des Pays-Bas, mémoire daté du 7 octobre 1632, à Mouy, on lit : « Egmont et Barbançon ont cette folie de penser gouverner leurs provinces après en avoir chassé les Espagnols avec l’assistance du roi, et pour cela ils demandent qu’une armée entre dans leur pays, à condition de n’y rien prétendre. » (Archives des Affaires Étrangères, à Paris.)
  4. Interrogatoires du prince de Barbançon.
  5. Ibid.
  6. Déposition de François de Carondelet, doyen de Cambrai, détenu au château d’Anvers. (Archives du royaume, papiers du président Roose, t. LΧΙΧ, fol. 38 et suiv.)
  7. Voy. Biogr. nat., p. 394.
  8. Ibid., p. 586.
  9. Gazette de France, année 1634, p.179. — Lettre du marquis d’Aytona, du 2 mai, à D. Martin de Αxpe, secrétaire du cardinal-infant. (Archives du royaume.) — Interrogatoires du prince de Barbançon. (Ibid.)