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doutes et de difficultés que jusqu’à ce moment on n’est point parvenu à éclaircir. Tandis que certains témoignages contemporains le représentent comme prenant part aux combats et aux tournois pendant la vie de Marguerite d’Alsace, c’est-à-dire avant 1195, tandis que l’on rapporte qu’il fut armé chevalier de la main même de Richard Cœur de Lion, d’autres documents tendent à établir, au contraire, qu’après avoir étudié à l’école d’Orléans, il fut investi, pendant sa jeunesse, d’un canonicat de l’église de Laon. Il ne serait peut-être pas impossible de concilier ces assertions en admettant que Bouchard d’Avesnes, entraîné par l’enthousiasme de la troisième croisade, accompagna son père Jacques d’Avesnes, en 1191, en Palestine, où le roi Richard put armer chevalier le fils de celui qu’il appelait la colonne de l’armée. Pendant assez longtemps, on aurait ignoré ou oublié son séjour à Orléans ou à Laon. Dix ans s’étaient écoulés depuis la bataille d’Arsur, lorsqu’une bulle d’Innocent III, du 12 décembre 1211, vint accuser Bouchard d’avoir renoncé à son habit religieux pour ceindre l’épée. À cette époque, Bouchard avait envahi les terres de son propre frère, Gauthier d’Avesnes ; mais il ne faut pas chercher l’unique cause de ces démêlés dans des contestations héréditaires. De graves événements s’étaient accomplis en 1211. Le roi de France, Philippe-Auguste, s’était engagé, à prix d’argent, à livrer aux sires de Coucy la main des filles de Philippe d’Alsace qui se trouvaient en son pouvoir ; puis il avait renoncé à ce projet, ne leur rendant toutefois la liberté qu’après avoir forcé l’aînée, la comtesse Jeanne de Flandre, à épouser Ferdinand de Portugal. Bouchard d’Avesnes avait plus que personne protesté contre ce joug honteux, et se plaçant à la tête d’un grand nombre de barons indignés, il n’avait pas hésité à déclarer qu’il fallait chercher, pour résister au roi de France, un protecteur dans le roi d’Angleterre. Étrange vicissitude des péripéties politiques ! Ferdinand de Portugal, qui devait tout à la faveur de Philippe-Auguste, ne tarda pas à devenir l’allié des Anglais, tandis que Bouchard d’Avesnes, naguère aussi favorable aux Anglais qu’il était hostile à Ferdinand de Portugal, opposa un invincible obstacle au mariage de Marguerite, sœur de Jeanne, avec le comte de Salisbury, gage convenu de la fédération de la Flandre et de l’Angleterre. Bouchard d’Avesnes était haut bailli de Hainaut : il voyait souvent Marguerite et l’encourageait dans son refus de traverser la mer. Sans doute, ces conseils n’étaient pas désintéressés, car les barons du Hainaut, appelés au château du Quesnoy, y entendirent Marguerite, alors âgée de douze ans, déclarer qu’elle ne voulait d’autre époux que Bouchard d’Avesnes. Un prêtre nommé Géry de Novion procéda aussitôt à la cérémonie nuptiale, en présence d’un grand nombre de bourgeois pour lesquels on avait laissé ouvertes les portes du château. Bouchard d’Avesnes écrivit à la comtesse de Flandre pour lui annoncer ce qui s’était passé au Quesnoy. Le moment n’était point venu où Jeanne et Ferdinand eussent osé s’en plaindre : ils avaient une guerre sanglante à soutenir contre Philippe-Auguste, et, le 3 avril 1214, ils nommèrent des arbitres pour régler les prétentions héréditaires de Marguerite. Cependant la paix fut conclue à Paris l’année suivante, et dès ce jour Jeanne réclama l’intervention du pouvoir pontifical pour faire annuler un mariage contracté en violation des lois de l’Église. Le pape Innocent III chargea l’évêque d’Arras de rechercher s’il était vrai que Bouchard eût été sous-diacre, et à la suite de cette information, il adressa à l’archevêque de Reims une bulle où il condamnait dans les termes les plus sévères l’apostasie de Bouchard, et ordonnait de proclamer chaque dimanche, au son des cloches et à la lueur des cierges, la sentence d’excommunication fulminée contre lui, aussi longtemps qu’il n’aurait point rendu la liberté à Marguerite. Lorsque les légats du pape se rendirent au château du Quesnoy, Marguerite vint au-devant d’eux : « Sachez, leur dit-elle, que Bouchard est un brave chevalier ; il est mon époux et je n’en aurai point d’autre. » En même temps, Bouchard d’Avesnes adressait à Innocent III un solennel