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trésor de Flandre qui a été prêté au roi d’Angleterre, et, par de fausses accusations, il excita la foule aveuglée à une odieuse vengeance : il ne restera à Gérard Denys qu’à semer, le lendemain, de l’argent (les comptes de la ville de Gand le constatent) dans cette plèbe qu’il a soulevée et qu’il s’efforcera de calmer lorsque le crime sera accompli. Cependant Artevelde parut à une fenêtre de son hôtel ; il se justifia, il rappela tout ce qu’il a fait pour le bien du pays. Des voix tumultueuses s’élèvent pour lui répondre : A la mort ! à la mort ! Déjà son hôtel était envahi, et cédant aux prières de ses serviteurs qui s’efforçaient en vain de le défendre, il se retirait pour se réfugier dans une église voisine, lorsqu’un tisserand, selon une version, un savetier, selon une autre, le frappa d’un coup de hache. Dès que la nouvelle de la mort d’Artevelde se répandit, les échevins et les doyens des grandes communes du pays accoururent à Gand pour rétablir l’ordre.

Artevelde périt, selon quelques chroniqueurs, le 17 juillet 1345, selon d’autres, le 24 du même mois. Cette dernière date paraît la plus exacte ; en effet, Édouard III, qui avait mis à la voile le 24 du port de l’Écluse, se félicitait le 3 août, huit jours après son retour en Angleterre, d’avoir affermi la Flandre dans son alliance, et ce ne fut que le 8 août qu’il donna l’ordre de saisir les lettres arrivées dans les ports de l’Angleterre, où se trouvait, sans doute, rapporté un événement si important et si funeste à sa politique. Édouard, d’abord vivement irrité, s’apaisa lorsqu’il apprit, par des députés que lui envoyaient les villes de Flandre pour lui représenter qu’Artevelde avait été la victime d’un attentat isolé, d’une haine privée ; les échevins de Gand paraissent avoir considéré sous le même aspect la sanglante catastrophe dont leur ville avait été le théâtre ; car trente ans après la mort d’Artevelde, en vertu d’une sentence qui frappait les familles de ceux qui y avaient pris part, une lampe expiatoire brûlait encore devant le grand autel du monastère de la Biloke. « Artevelde, dit une chronique contemporaine écrite à Valenciennes, avait sagement et paisiblement gouverné la Flandre. Son assassinat fut une male emprinse, une dommageuse forfaiture. » D’autre part, on lit dans les Memorie boeken de la ville de Gand : « Tant qu’il vécut, il maintint le pays en paix et en repos. De son temps on vit fleurir la Flandre par son industrie et son commerce, aussi bien que par ses richesses et sa prospérité. » Néanmoins, Jean le Bel, Froissart et d’autres chroniqueurs le dépeignent orgueilleux et astucieux, impitoyable dans ses haines, avide de confiscations. Ces reproches n’ont pas été jusqu’ici confirmés par l’étude des documents authentiques. On ne peut perdre de vue que les chroniqueurs qui lui reprochent (et probablement à tort) de s’être entouré de gardes armés, reconnaissent eux-mêmes que le comte de Flandre chercha à le faire périr perfidement, et d’autres accusations ne semblent pas davantage pouvoir se concilier avec les souvenirs et les regrets qui, d’après Froissart lui-même, honorèrent sa mémoire. Il est en dehors de toute contestation que Jacques d’Artevelde régla la représentation politique des trois grandes communes de Gand, de Bruges et d’Ypres, ainsi que l’organisation intérieure de l’autorité communale à Gand, mémorables réformes qui se maintinrent pendant plus de quatre siècles. En cherchant l’avenir du commerce et de l’industrie de son pays dans sa neutralité au milieu des guerres les plus sanglantes, il pressentit les destinées de la Belgique moderne, et l’on comprend que toutes nos provinces se soient associées à l’hommage récent qui lui a été rendu par l’érection de sa statue au Marché du Vendredi à Gand, puisque, par le traité de 1339, il s’assura l’éternel honneur d’avoir préparé l’union de ces pays également riches et industrieux, que son génie voulait rapprocher de plus en plus par les mêmes institutions et les mêmes libertés.

Kervyn de Lettenhove.

ARTEVELDE (Philippe D’), le plus jeune des fils du précédent, naquit à Gand en 1340 et périt, à West-Roosebeke, le 27 novembre 1382. Il fut tenu sur les fonts baptismaux par Philippine de Hai-