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On a vu que le duc d’Arschot avait voulu aller en Espagne, non comme député des états généraux, mais comme envoyé de l’infante. Ce n’en était pas moins à la prière des états, pour défendre leurs actes et faire accueillir leurs vœux, qu’il avait entrepris ce voyage ; et cette assemblée, si elle avait eu quelque énergie, aurait élevé la voix contre son emprisonnement : elle se contenta d’écrire au roi que, dans ses actions, il avait toujours fait paraître « la fidélité et dévotion sincère qu’il avait à son service[1]. »

Deux chefs d’accusation étaient formés contre le duc par le fiscal Larrea : le premier d’avoir été complice de la conjuration des princes d’Epinoy et de Barbançon et des comtes d’Egmont et de Hennin ; le second de n’avoir pas révélé et même d’avoir nié cette conjuration, en étant instruit. Malgré les investigations les plus minutieuses, on ne put, à Bruxelles ni ailleurs, recueillir aucune preuve que d’Arschot eût pris part aux complots des conjurés ; il ne restait donc que le fait de non-révélation, lequel semblait avoir perdu beaucoup de sa gravité, par les explications que le duc avait données au Roi[2]. Il ne fut pas, pour cela, rendu à la liberté : seulement, au mois de décembre 1634, on le ramena, en l’y gardant à vue, dans une maison à Madrid qu’il avait louée un peu avant son arrestation. Au commencement de 1637, la duchesse, sa femme, Marie-Cléophée de Hohenzollern, vint l’y joindre avec son fils aîné, Philippe-François d’Arenberg ; mais en vain firent-ils des démarches pour qu’il leur fût permis d’habiter avec lui ; tout ce qu’ils obtinrent fut d’aller le voir aussi souvent qu’ils le voudraient, à la condition expresse de se retirer le soir[3].

Il y avait six ans et cinq mois que durait sa détention. Une si longue captivité avait ruiné ses forces morales et physiques : le 17 septembre 1640, il tomba malade. Son état s’étant aggravé les jours suivants, Philippe IV lui envoya, le 23, le secrétaire d’État Carnero pour l’engager à prendre courage ; lui annoncer que sa cause serait décidée dans peu, et lui faire espérer que non-seulement il lui restituerait ses bonnes grâces, mais encore il lui ferait de grandes mercèdes. Le duc répondit à Carnero : « Mon ami, dites au roi qu’après sept années de sollicitations pour recouvrer ma liberté, sans qu’on m’ait accordé la moindre chose, je suis réduit à un point tel que je n’ai plus besoin de mercèdes. C’est maintenant fait de moi, et il ne me reste qu’à prendre mon recours au bon Dieu, mon vrai juge. » Carnero sortit. Le duc alors s’assoupit, et cet assoupissement se prolongea jusqu’au lendemain matin, à cinq heures. En s’éveillant il demanda sa femme et son fils qu’on lui amena : « Mon cher fils, fit-il en s’adressant à ce dernier, vous me voyez en un pauvre état. Voici l’heure que je me dois rendre à la miséricorde de Dieu. Avant de partir de ce monde, je vous ai voulu recommander et exhorter de vous comporter toujours en vrai gentilhomme, vous montrant, en toute occasion, fidèle à Dieu et au roi. Je vous laisse privé de père et de mère : prenez le bon Dieu pour père et Marie pour votre mère. » Ayant prononcé ces paroles, il dit à haute voix en flamand : « Seigneur Jésus, qui m’avez créé et racheté avec votre précieux sang, soyez-moi favorable ![4]  » Quelques instants après il rendit l’âme[5]. Il était âgé de cinquante-deux ans onze mois et vingt quatre jours. Son corps fut transporté aux Pays-Bas et inhumé dans le couvent des Capucins, à Enghien.

Philippe d’Arenberg portait le titre de duc d’Arschot depuis 1616, en vertu de l’autorisation de sa mère, qui avait eu ce

  1. On peut consulter là-dessus Defensa de don Felipe de Aremberg, principe de Aremberg, duque de Arschot, de la órden del Tuson de oro, gentilhombre de la cámara de Su Magestad i del consejo de Estado, governador de la provincial de Namur, en la causa que contra él trata el señor doctor D. Juan Bautista de Larrea, cavallero de la orden de Santiago, fiscal del consejo. Escrivela (con licencia de Su Magestad) el licenciado don Diego Altamirano, su fiscal en el de hazienda. In fol. de 189 feuillets.
  2. Lettre du 11 mai 1634.
  3. Lettre écrite de Madrid le 4 octobre 1640. (Archives communales d’Anvers.)
  4. Heere Jesus, die my geschapen hebt, ende met u dierbaer bloed verlost hebt, weest my genadich !
  5. Lettre écrite de Madrid le 4 octobre 1640.