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immédiatement aux mains[1], soit qu’il fût poussé par son ardeur naturelle et par la crainte de laisser échapper les ennemis, il donna l’ordre de les attaquer. L’action fut engagée désordonnément par l’infanterie espagnole, qui, ayant été repoussée, vint jeter la confusion dans les rangs des compagnies allemandes tandis qu’elles se formaient en bataille. D’Arenberg essaya en vain par les plus grands efforts de rétablir le combat ; ayant eu un cheval tué sous lui, il en monta un autre et continua de faire des prodiges de valeur ; on dit même qu’il tua de sa main Adolphe de Nassau, frère du comte Louis ; mais bientôt il se vit accablé par la multitude des ennemis qui l’entouraient, et, après une lutte opiniâtre, Antoine de Zoete, seigneur de Hautain, le frappa mortellement. Sa mort fut le signal de la débandade de ses troupes. Son artillerie, ses bagages, sa vaisselle, l’argent destiné à la solde des Espagnols, tombèrent au pouvoir des confédérés, qui firent aussi un grand nombre de prisonniers. La toison’d’or que Jean de Ligne portait fut envoyée au prince d’Orange, à Strasbourg. Sa dépouille mortelle reçut la sépulture dans l’église du monastère d’Heyligerlée.

La cause de la religion et du roi faisait une grande perte, comme le cardinal Granvelle l’écrivit à l’évêque de Namur Antoine Havet[2], en perdant le comte d’Arenberg ; aussi fut-il vivement regretté à Rome et à Madrid. Dans les temps de troubles, les hommes que rien ne peut détourner de la fidélité à leurs serments et à leurs devoirs sont rares ; Jean de Ligne était un de ces hommes. Guichardin l’appelle « un baron valeureux, signalé et de marque ». Brantôme, qui l’avait connu à la cour de Charles IX et avait même été dans sa familiarité, fait de lui ce portrait : « Outre sa valeur, il estoit un très-bon et très-agréable seigneur, surtout de fort grande et haute taille et de très-belle apparence….. Ses propos n’estoient nullement communs ny pauvres, mais très-rares et très-riches, car il parloit fort bien et très-bon françois, comme encore quelques autres langues. Bref, il estoit très-vertueux et très-parfait. »

Marguerite de la Marck, sa veuve, lui survécut pendant trente et un ans ; elle mourut au commencement de 1599. « C’était, dit Van Meteren, une sage et habile dame ». En 1570, l’empereur Maximilien II la choisit pour accompagner en France l’archiduchesse Elisabeth, sa fille, qui y allait épouser Charles IX ; ce roi étant mort, Elisabeth voulut retourner dans sa patrie : elle pria la comtesse douairière d’Arenberg de lui faire de nouveau compagnie dans ce voyage. Philippe II, durant tout son règne, lui témoigna la plus grande considération, et il lui prouva aussi qu’il gardait le souvenir des services de son mari ; il lui fit compter dix mille florins lors de l’établissement de chacune de ses deux filles • l’aînée, Marguerite, mariée au comte de Lalaing, la seconde, Antoinette-Guillelmine, au comte Salentin d’Isenbourg, qui avait renoncé à l’archevêché de Cologne. En 1588, il lui accorda une pension de deux mille florins, outre une gratification de douze mille florins. Dans les dernières années de sa vie, elle s’était retirée à Zevenberghe, comme en une espèce de lieu neutre.

Gachard.

ARENBERG (Charles, comte D’), fils aîné de Jean de Ligne et de Marguerite de la Marck, naquit, le 22 février 1550, à Vollenhoven en Frise ; il eut pour parrain l’empereur Charles-Quint. Il comptait dix-neuf ans à peine (octobre 1569), lorsque le duc d’Albe l’envoya en ambassade vers Charles IX et Catherine de Médicis, pour les féliciter sur la victoire de Montcontour. Le 4 juillet 1570, Philippe II, voulant reconnaître et récompenser en lui les services de son père, lui donna la compagnie de cinquante hommes d’armes et cent archers de ses ordonnances que Jean de Ligne avait commandée ; il lui aurait en outre conféré le gouvernement de la province

  1. Cette version est confirmée par le témoignage de Ferey Duresca, qui était alors résident de France aux Pays-Bas ; le 28 mai 1568, il écrivait à Charles IX : « Les Espagnolz ne voullurent jamais avoir patience d’attendre le comte de Mègue, pour prez qu’il fust d’eulx. » (Bibl. imp. à Paris, Mss. S. Germ. Harlay 22824, pièce XXIII).
  2. Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas, t. II, p. 33.