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son séjour d’une année dans cette ville, alors véritable caverne de voleurs, réceptacle de renégats et de vagabonds, Aranda nous raconte avec une naïveté et un accent de vérité qui entraînent, les tourments, les privations de toute espèce dont les esclaves chrétiens étaient alors l’objet dans cet antre de pirates, si longtemps redoutable à l’Europe civilisée. Il y dépeint avec des couleurs fort sombres cette horrible Masmore, espèce de bagne composé d’un vaste souterrain où ces malheureux étaient retenus prisonniers. Toutefois, un grain de bonne humeur et des plaisanteries assez amusantes tempèrent çà et là la sévérité de son récit. Les détails qu’il donne sur la population d’Alger, sur les personnages puissants qui y exerçaient leur tyrannie, sur les travaux auxquels les esclaves étaient astreints, sur les exactions dont étaient l’objet ceux qui passaient pour avoir quelque fortune, sont pleins d’intérêt. Le tableau qu’il trace des vexations dont on accablait les chrétiens, servit longtemps d’épouvantail pour effrayer tous ceux qui eussent été tentés de fréquenter ces parages dangereux.

Après de longs pourparlers, Aranda et ses compagnons obtinrent d’être échangés contre des captifs turcs, internés alors à Dunkerque. Ils furent dirigés sur Gibraltar, d’où ils partirent à cheval pour Cadix. Ils revinrent par Madrid et allèrent de nouveau s’embarquer à Saint-Sébastien. Ils traversèrent ensuite la France et visitèrent Paris et la Normandie. De Rouen ils firent voile pour Douvres, d’où un paquebot les transporta à Dunkerque.

Aranda rentra à Bruges au sein de sa famille, le 20 août 1642, assez à temps pour recevoir le dernier soupir de sa mère, qui mourut peu de jours après et pour laquelle il professait un véritable culte.

Comme il appartenait à une famille considérable de cette ville, ses aventures firent beaucoup de bruit. Tout le monde, pendant sa captivité, s’était intéressé à ses infortunes, et entre autres François de Valcarcel y Velasquez, membre du conseil royal de Castille et surintendant de la justice militaire aux Pays-Bas. Ce personnage lui fit obtenir, à son retour, la charge d’auditeur militaire au quartier du Franc-de-Bruges. Bientôt ses amis le pressèrent de coucher ses aventures par écrit. Toutefois, ce ne fut qu’en 1656 qu’il satisfit à leur désir, en publiant son livre sous le titre de : Relation de la captivité du sieur Emmanuel de Aranda, mené esclave à Alger en l’an 1640, et mis en liberté l’an 1642. A Bruxelles, chez Jean Mommaert, 1656 ; in-12.

Cet ouvrage, presque tombé aujourd’hui dans l’oubli, eut un succès extraordinaire à cette époque où les corsaires algériens croisaient encore impunément dans la Méditerranée.

Il en parut successivement encore huit éditions : en latin, à la Haye, en 1657, en français, la même année, à Paris, et en 1662, à Bruxelles, encore en français, à Paris en 1665, en anglais, à Londres, en 1666, de nouveau en français à Leyde, en 1671, et enfin, en flamand, à Bruges et à la Haye, en 1682 ; celle-ci contient toutes les Relations particulières ; plus cinquante-deux Histoires morales et divertissantes.

L’existence d’une traduction espagnole, publiée à la Haye, en 1657, est contestée.

Emmanuel de Aranda, qui fait généralement preuve de savoir et de connaissances variées, joignit à sa Relation un mémoire historique sur l’antiquité d’Alger, qu’il regarde comme l’ancienne Julia Cæsarea.

On y trouve sur la domination arabe, sur le fameux Barberousse et sur le gouvernement de cette partie de l’Afrique des renseignements qui ne sont pas dépourvus de mérite. L’ouvrage est terminé par un recueil d’histoires ou d’anecdotes au nombre de cinquante-deux, qu’il intitule Relations particulières. La lecture en est attachante, mais atteste plus d’esprit d’invention de la part de l’auteur que de véracité.

A l’édition elzévirienne de sa relation, publiée chez Pauwels, à Leyde, en 1671, est jointe une troisième partie, sous le titre de : Diverses histoires morales et divertissantés. Elles sont reproduites avec trente et une autres nouvelles dans l’édition flamande de 1682.