Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 1.djvu/198

Cette page a été validée par deux contributeurs.

se servir dans leur dernière remontrance, font paroître que le châtiment exemplaire de leur père n’a pas eu assez de force sur eux, qu’ils ne soient encore à présent conduits par un esprit d’audace et d’insolence. »

On peut mesurer dans ces lignes l’abîme qui séparait les juges d’Anneessens de ses nombreux admirateurs. Pour les premiers, dont l’opinion était uniquement dictée par le soin de leur intérêt personnel, le doyen n’était qu’un vil criminel ; quant aux seconds, en qui vivait cet amour de la liberté communale qui ne s’éteindra en Belgique que lorsqu’elle sera conquise et abâtardie, ils voyaient en lui le zélé défenseur des droits de la bourgeoisie, le martyr de la liberté. L’heure de la réhabilitation est arrivée, et aujourd’hui qu’on possède le texte des pièces du procès d’Anneessens, on peut certifier que sa condamnation doit être placée au rang des assassinats juridiques.

La pression que le marquis de Prié exerça sur le conseil de Brabant pour lui arracher une condamnation à mort constitue un fait digne de remarque : il est certain que, sans la funeste influence de cet étranger, le tribunal aurait été moins sévère, quelque irrité qu’il fût des scènes de violence dont la chancellerie avait été le théâtre. Lorsque, au xviiie siècle, plusieurs membres de ce corps purent prendre connaissance de la procédure intentée au doyen, ils ne cachèrent pas que, dans leur opinion, Anneessens ne méritait pas la mort. Bientôt le culte que le peuple avait voué à la mémoire de son courageux défenseur put librement se manifester. Dans la séance des représentants provisoires de la ville libre de Bruxelles, du 20 décembre 1792, l’avocat d’Outrepont, qui présidait l’assemblée, proposa de reviser le procès d’Anneessens, « afin de rendre aux mânes du doyen l’honneur que lui devait le peuple pour lequel il était mort. » Cette motion, couverte d’applaudissements, fut adoptée à l’unanimité, mais les évéments politiques la firent bientôt oublier. Quelques années après, lorsqu’on débaptisa la plupart des rues de Bruxelles, le nom d’Anneessens fut donné à la rue d’Arenberg : un humble doyen détrônait une des plus remarquables lignées féodales de la Belgique. Il vint même un jour où deux des membres principaux de notre aristocratie, les comtes Henri de Mérode-Westerloo et Amédée de Beauffort, rendirent à leur tour un solennel hommage à cet homme de bien, tombé victime des susceptibilités et des rancunes d’une coterie détestée. Sous l’empire de l’enthousiasme patriotique provoqué par la révolution de 1830, ils firent placer dans cette église de la Chapelle, où les restes du doyen avaient été furtivement déposés par les soins de l’amitié, un monument consacré à sa mémoire. Contre le pilier intermédiaire aux deux grandes arcades donnant accès dans la chapelle de Notre-Dame, on voit une tablette de marbre noir, ornée d’un médaillon de marbre blanc où les traits du doyen sont représentés en relief et autour duquel se dessine une guirlande de branches de chêne et de laurier de bronze. Plus bas, on lit l’inscription suivante :

IN MEMORIA ÆTERNA JUSTUS

                                              PS. CXI.
SUB HOC TUMULO IN PACE QUIESCIT
FRANCISCUS ANNEESSENS
BRUXELLENSIS
NATIONIS VULGO STI NICOLAI SYNDICUS
QUI JURAMENTIS FIDELITER SERVATIS
ET JUREJURANDIS PRIVILEGIISQUE
OPIFICIORUM CORPORUM URBIS HUJUS
RELIGIOSE DEFENSIS
AD EXTREMUM DUCTUS SUPPLICIUM FUIT
QUOD CUM FIRMA FIDUCIA IN CHRISTUM
SUPREMUM JUDICUM JUDICEM
INTURBABILI ANIMO SUBIVIT
SPRETA NECE MORIENDO VIR ILLE
PRO DEFENSIONE JURIUM SUI ORDINIS
NON FRANGENDÆ FIDEI INSIGNE DEDIT EXEMPLAR
OCCISUS EST ANNO ÆTATIS SUÆ LXX DIE VERO
19 SEPTEMBER 1719

R. I. P.
MEMORIÆ ANNEESSENS COMITES DE MERODE-WESTERLOO
ET AMEDEUS DE BEAUFFORT HUNC POSUERE LAPIDEM.1834

Depuis, le collége échevinal de Bruxelles, par résolution du 17 juin 1851, a donné le nom d’Anneessens à une rue nouvelle qui va de la place de la Senne à la rue T’Kint, et, à plusieurs reprises, le conseil communal de la même ville a manifesté l’intention de rendre un solennel hommage à la victime du marquis de Prié et de lui élever une statue sur la place qu’il arrosa jadis de son sang.

On a répété maintefois, en se basant sur une tradition que j’ai également re-