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reur à ceux qui échapperaient par hasard au massacre, Ambiorix ne pût jamais rentrer dans un pays sur lequel il avait attiré tant de désastres[1]. »

Tel est, en résumé, le récit des événements donné par César dans ses Commentaires. Les autres écrivains de l’antiquité, qui se sont occupés du roi des Éburons et du vainqueur des Gaules, n’y ont ajouté que des détails d’une importance très-secondaire. Dion Cassius raconte qu’Ambiorix, après avoir appelé Sabinus, à la fin du combat, le perça d’un javelot, en lui disant : « Comment, petits comme vous êtes, osez-vous concevoir le projet de commander à des hommes comme nous ? » Le même historien rapporte que, par le conseil d’Ambiorix, les Belges, réunis devant le campement de Cicéron, entourèrent leurs propres camps d’un rempart et d’un fossé, à l’exemple des Romains : circonstance qui, peut-être, a fait dire à César qu’il vit avec grand étonnement les remarquables ouvrages que les barbares avaient élevés pendant le siége[2]. Florus, consacrant un seul chapitre à la guerre des Gaules, se borne à dire qu’Ambiorix, auteur de la défaite de Sabinus et de Cotta qu’il avait attirés dans une embuscade, s’enfuit au retour de César et resta toujours caché au delà du Rhin[3]. Suétone, plus laconique encore, se contente d’énumérer les pays conquis par son héros[4]. Plutarque, passablement inexact dans sa narration, ne nous fournit aucun fait nouveau[5]. Paul Orose ne nous a transmis qu’un abrégé très-succinct des Commentaires, en y ajoutant, par une erreur manifeste, que la nation tout entière des Éburons s’était réfugiée dans la forêt des Ardennes et qu’elle y fut exterminée par les maraudeurs gaulois accourus à l’appel de César [6].

Depuis que la Belgique, ayant reconquis son indépendance, paye un juste tribut d’hommages à ceux qui, dans les siècles antérieurs, ont versé leur sang pour la défense du sol natal, plusieurs de nos publicistes ont révoqué en doute plus d’une assertion de César et des autres historiens romains. Il est permis de nier le meurtre de Sabinus, que Dion Cassius met à charge d’Ambiorix ; car César, qui se connaissait dans l’art de noircir ses ennemis, n’aurait pas manqué de dire que le roi des Éburons assassina de sa propre main l’homme qu’il avait trompé par ses conseils perfides. On peut aussi ne pas accepter sans réserve le parjure que César lui-même fait commettre par Ambiorix, dans la partie finale du discours qu’il adresse, devant les remparts d’Aduatuca, aux envoyés de Sabinus et de Cotta. Mais il ne nous semble pas que le fait principal, celui d’avoir eu recours à la ruse, pour obtenir le départ de Sabinus et de Cotta, puisse être sérieusement contesté. Aucun danger sérieux ne menace les commandants des quinze cohortes cantonnées sur le territoire des Éburons. Et cependant la grande majorité du conseil de guerre ordonne le départ immédiat, ou pour mieux dire, la retraite vers les quartiers de Cicéron ! Il faut donc bien reconnaître que Sabinus et ceux qui partageaient son avis agissaient sous l’empire d’une crainte imaginaire, et dès lors rien n’est plus simple que d’attribuer au chef des révoltés le rôle qu’il joue dans les Commentaires. Le massacre des légionnaires avait eu d’ailleurs un retentissement immense ; les soldats en connaissaient la cause aussi bien que les chefs, et César, malgré l’autorité attachée à son nom, eût en vain tenté de donner le change à l’opinion publique. Il est vrai qu’Ambiorix se montra perfide et implacable ; mais César, ne l’oublions pas, lui avait largement donné l’exemple de la ruse et de la cruauté. Quel droit ce dernier avait-il de se plaindre de l’attitude prise par son ennemi, lui qui faisait arrêter les ambassadeurs des Germains et attaquer ceux-ci pendant qu’ils attendaient le résultat des propositions de leurs envoyés[7] ; qui

  1. Hirtius, Bell. gall., c. XXIV ; trad. de M. Baudement. — Pauli Orosii Hist., l. VI, c. XI.
  2. Dion. Hist. rom. liv. XL, chap. V à X ; édit. de Reimar, tome I, p. 229. Cæsar, Comm., liv. V, chap. LII.
  3. Hist rom., liv. III, chap. XI.
  4. Vit. Cœs., c. XXV.
  5. Vit. Cœs.
  6. Hist., liv. VI, chap. X.
  7. Cæsar, Comm., l. IV, c. XIII et XIV.