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destinée. Molière m’amusait, m’épanouissait l’esprit ; mais je l’apprenais difficilement. Quelque long que fût un ouvrage, cinquante, soixante volumes, je l’entreprenais et j’allais jusqu’au bout, sans que mon ardeur faiblit un moment. Homme, j’aurais aimé les hautes entreprises, les fatigues lointaines ; quelque chose d’aventureux, de hardi, d’incertain ; femme, j’ai dépensé bien des forces dans le mystère impénétré de mon âme ; j’ai, selon l’ex¬ pression d’Obermann, dévoré bien des années de ma vie: labeur vain et funeste !…

Une nuit, que je veillais auprès de ma sœur malade, sa parole se fit obscure ; la mienne toute chère, tout affectueuse, ne lui arrivait plus. Ses yeux avaient cessé de me chercher, ils étaient sans regard. Sa veille d’agonie se poursuivait que je ne la soupçonnais pas même commencée, pas même possible. En proie à une terreur invincible qui s’accroissait de ma contemplation muette et pleine d’angoisse, de mon isolement, je restais debout et dans une attente qui n’a pas de nom. La garde était allée se coucher ; ma pauvre mère accablée de plusieurs nuits de fatigue et de souffrances de cœur, n’espérant plus, peut-être, s’était jetée sur son lit, à quelques pas de là. J’étais seule à voir finir cette jeune vie, à essuyer les sueurs de ce pâle visage. Un soupir de ma sœur, soupir mystérieux, étrange, que je n’avais jamais entendu, me fit trembler de la tête aux pieds. Je jetai un cri, elle était morte. Je savais ce qu’était la mort!…. je savais de quelle pauvre valeur était la vie…. Du moins elle entra dans son éternité avec ses fraîches, ses pures ignorances. Douce vierge, est-ce à moi de te pleurer?… Qu’ai-je fait des années que Dieu m’a données de plus qu’à toi ? Ont-elles servi à mon perfectionnement? Le bien les a-t-il constamment fécondées ? La parole de mes semblables les a-t-elle bénies ?….. Oh ! je les sens bien vides, bien sombres !…