Page:Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises.pdf/382

Cette page n’a pas encore été corrigée

avec une joie ou une crainte passionnée qui le pâlissait souvent : alors mon regard effrayé cherchait le regard de ma jeune sœur. Ce regard qui disait moins que ma pensée, qui ne me renvoyait pas ma complète anxiété, me donnait un peu de calme. Enfin nous partions, ma sœur et moi, légères de plaisir ; ma mère, ses poches lourdes des fruits de la saison, et de petits pains savou¬ reux, et d’autres choses encore : toutes les prévoyances du cœur étaient dans sa manière. Bruit majestueux de mon beau fleuve, buissons qu’embellit la rose sauvage et l’oiseau mélodieusement plaintif, prés embaumés de violettes, de marguerites ; prés où fleurit le sainfoin et la sauge bleue ; papillons aux ailes blanches ou brunes, au vol doux et frémissant ; vous que tant de fois ma poursuite agita ; peupliers sonores ; fraîches eaux des bois et des montagnes ; voix de la solitude ; nuages qui me faisiez rêver aux lointaines régions ; horizons vagues, illimités, comme les besoins du cœur, fugitifs comme ses espérances, oh î laissez-moi vous pleurer !….

Quand, haletantes de fatigue et les yeux brillans de satisfaction, nous venions, nos tabliers pleins de fleurs, nous asseoir sur la pelouse, ma mère tirait de sa poche de fée, un peloton de fil ; aussitôt nous liions des bo u- quets, nous tressions’ des couronnes, toujours légères aux fronts qui les portaient. S’il pleuvait, les ressources ne me manquaient pas ; je me faisais une vie merveil¬ leuse avec les contes de fée, et Quinte-Curce, et les beaux traits d’histoire, et les tragédies de Duché, les premières que j’ai lues. Il y avait loin de Duché à Shakspcarc et à Goethe. C’étaient encore des fragments de poésie que j’avais dévorés et bien vite sus par cœur. Dès l’âge de neuf ans, je me trouvai en possession de Torquato-Tasso. Bien des jours avaient passé depuis que j’en connaissais quelque chose et que je le désirais ; mais profondément