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J’ai parlé des exceptions, et j’ai dit qu’elles étaient rares. Segrais m’en fournit une parmi les hommes. Cet agréable poëte a fait de charmants livres de femme ; encore les femmes pourraient-elles bien y trouver quelque chose à redire. Ce qui prouve, au reste, qu’il avait autant d’esprit qu’une femme, c’est qu’il a pris un nom de femme pour les publier.

Notre époque admire, avec raison, une femme très supérieure à Segrais, et à bien d’autres romanciers plus célèbres que Segrais. Son style, qui se recommande par des grâces exquises dont les femmes seules ont le secret, suffirait à justifier l’enthousiasme qu’elle inspire ; il se distingue, toutefois, du style des femmes qui écrivent en perfection, par des touches hardies, robustes, quelquefois hasardeuses comme les jeux de la force, qui décèlent non-seulement un talent et une pensée d’homme, mais le talent et la pensée d’un homme énergique, profondément désabusé des illusions de la vie, devenu étranger à la plupart de ses affections et de ses espérances, et qui se joue avec amertume des scrupules et des bienséances vulgaires comme d’un hochet brisé. Le grand écrivain dont je parle a pris un nom d’homme, et il a fait à merveille ; car il n’y a plus rien de la femme dans les inspirations actuelles de son génie, sinon quelques touchants mystères du cœur, qui parfois attendrissent encore sa parole, et que les femmes n’oublient jamais tout-à-fait. Cet exemple éclaircira d’une manière beaucoup plus concluante que mes discours les idées que je cherchais à développer sur la véritable destination