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crois devoir à Racine, dont à l’âge de sept ans je savais VIphigénie par cœur, et que ma mère ôta de mes mains, pour ne pas entretenir une passion qui, disait-elle, me tuerait ; je crois, dis-je, lui devoir un sentiment de l’har¬ monie, une divination du rhythme dont mon oreille peut-être avait le pressentiment. Ce qui est sûr, c’est que dès lors, et depuis, des vers mal lus me causaient de l’impatience et une sorte de malaise que j’avais de la peine à dissimuler. Mais je ne voyais en cela que du goût pour la poésie, et non pas des dispositions poétiques.

« Enfin mon âme, déjà fatiguée par des chagrins cruels, reçut un coup que je croyais bien devoir être le dernier : je perdis ma fille, et avec elle tout mon espoir, toute ma consolation, l’objet d’une tendresse dans laquelle mon cœur s’était réfugié tout entier.


« Quand une douleur telle que celle dont j’étais la proie cesse d’être un tourment intolérable, elle devient une occupation chère ; c’est du moins ce que j’éprouvai. Vivre de mes souvenirs, nourrir mes regrets, leur consa¬ crer tout ce que je pouvais leur sauver de mon temps, faire de cette habitude douloureuse mon unique bien, le dernier charme de ma vie, fut alors toute mon étude. Le temps me conduisait ainsi vers la résignation. Mais, comme je craignais de fatiguer mes amis par la répéti¬ tion continuelle de mes regrets, et que j’écris volontiers, je les écrivis, seulement pour m’en entretenir. C’est dans cet entretien que je m’aperçus, à mon grand étonne¬ ment, que j’avais fait, en croyant écrire de la prose, une douzaine de vers de suite. Je crus me tromper : j’ouvris un poëte pour comparer, et je vis que c’étaient réelle¬ ment des vers. Cette inspiration inattendue me présen¬ tait une source de consolation, et je m’y livrai sans au¬ cune envie d’en mettre les fruits au jour…..