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122 BIOGRAPHIE DES FEMMES AUTEURS.

venue poète? Je me ferais volontiers la même question, et je ne saurais pas la résoudre. Nous portons en nous des secrets que nous n’avons pas la faculté de révéler. Elevées ensemble, l’éducation qu’on donne dans les couvents nous fut commune : lire sans principes, écrire sans orthographe,faire la révérence, voilà tout ’.

«Depuis ce moment si funeste jusqu’à l’époque où j’ai fait mes élégies il s’est écoulé près de quinze années, pendant lesquelles j’ai éprouvé bien des genres de dou¬ leurs.

«Ma cousine, le temps double notre existence lors¬ qu’il s’écoule pour nous au milieu de ces peines jour¬ nalières qui refoulent toutes nos idées, tous nos sen¬ timents en nous-mêmes, et nous donnent pour ainsi dire une existence contemplative. Quant aux études, je n’en ai fait aucune. J’aimais les travaux de mon sexe, et j’a¬ vais l’ambition d’y exceller. Mes lectures n’avaient que ma hile pour objet. Je nourrissais mon esprit et mon àme, afin de me rendre plus capable de l’élever ; mais je lui désirais seulement le talent et l’instruction qui sans appeler l’envie pouvaient la rendre plus aimable, plus sensée*et plus heureuse. Rien de tout cela ne m’ap¬ prochait de la poésie. Il y a plus, elle cessa de devenir ma lecture favorite aussitôt que je pus lire Montaigne, et je lui ai toujours donné la préférence. Cependant je


» Je ne parle pas des couvents d’aujourd’hui. Pour rendre plus com¬ plète l’insuffisance de mon éducation, j’eus une enfance délicate, une mère tendre, attentive à éloigner de moi toute sorte de lecture et croyant, ma santé attachée a mon ignorance. C’est ce que tu as vu. Cette mère pourtant avait des qualités très éminentes, une âme noble, un coeur droit et sensible, un esprit juste et sage ; elle fut mon livre, mais elle jouissait seule de son ouvrage : une timidiLc extrême, invincible, enchaînait toutes mes facultés. S’il y avait en moi quelques germes heureux, ils n’étaient connus que de ma mère ; et quand je l’eus perdue, je restai ignorée des autres comme de moi-même.