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consciences distinctes et sur le dédoublement du moi, antérieurement à l’époque où les faits de dédoublement ont pu être observés directement. Ces théories, qui remontent à Leibniz, et qu’on a reprises et analysées dans ces derniers temps, ne peuvent pas figurer dans l’historique d’une question qui n’a progressé que le jour où elle a pris la forme expérimentale.

Nous devrions ici, suivant l’ordre que nous avons adopté dans nos premiers chapitres, décrire en premier lieu les phénomènes spontanés, ceux qui se sont manifestés en dehors des laboratoires, car ce sont là les phénomènes profonds, durables, ceux en somme que les théories d’une école ou d’un chef d’école ont le moins modifiés, et qui reflètent le plus fidèlement la vraie nature des choses. Mais il y a des raisons pour abandonner cet ordre d’exposition ; la principale, c’est que les phénomènes spontanés de dédoublement simultané sont les phénomènes du spiritisme, c’est-à-dire les tables tournantes et les évocations d’esprit. Or, il est clair que si ces phénomènes contiennent, comme nous le croyons, une grande part de vérité, cependant cette part a été tellement obscurcie par la naïveté des uns et la fourberie des autres, que les esprits sages ont toujours éprouvé un grand scepticisme. Bien qu’il soit possible de débrouiller cet écheveau, de classer les faits démontrés ou démontrables, et de les distinguer soit des théories sans fondement, soit des pures absurdités, nous ne pouvons pas commencer ici, dès les premières pages, une étude aussi difficile. Nous sommes donc obligés de reporter un peu plus loin l’étude du spiritisme.

Cette élimination faite, il ne nous reste à signaler qu’une seule observation pouvant servir d’introduction aux recherches récentes ; c’est une observation très nette de dédoublement mental spontané ; elle a été recueillie par M. Taine ; l’éminent auteur l’a publiée dans la préface de l’Intelligence[1], livre qui a plus de vingt ans de date,

  1. De l’Intelligence, t. I, p. 16.