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il arrive, avec un peu d’exercice, à sentir le mouvement et à en deviner la nature ; mais c’est là une modification du phénomène qui résulte de ce que le sujet y applique son attention ; dès les premières expériences, il ne perçoit rien, et il y a des personnes qui, quoi qu’elles fassent, n’ont jamais rien perçu. En revanche, le sujet éprouve une sensation subjective assez bizarre ; il lui semble, dit-il, que c’est l’instrument, la planchette qui est animée d’un mouvement spontané et entraîne sa main ; le mouvement est parfois accompagné de sensations tactiles douloureuses qui rendent l’expérience fort peu attrayante.

Ajoutons encore quelques détails pour compléter la physionomie du phénomène. Dans la forme où l’expérience a été faite par Gurney, le sujet qu’on vient d’éveiller ne cherche point à mettre la main sur la planchette ou à prendre un crayon, comme il le ferait certainement s’il obéissait à une suggestion précise, si par exemple on lui avait dit : « À votre réveil, vous ferez ceci ou cela. » Il ne fait preuve d’aucune spontanéité ; c’est passivement, sans savoir ce qu’on lui veut, qu’il se laisse mettre la main sur l’instrument, et pendant que l’écriture se trace, son moi normal s’en désintéresse complètement ; il ne prête ni attention, ni bonne volonté à la petite opération qui s’accomplit. C’est dire qu’à ce moment il est dans un état de dédoublement ; en lui sont deux personnes, l’une qui est la personne normale, qui cause avec les assistants, et l’autre qui écrit ; la première ne s’occupe pas de ce que fait la seconde.

C’est un état de dédoublement, disons-nous ; la division de conscience, en effet, se rapproche beaucoup de celle que nous avons étudiée dans les précédents chapitres ; tous les cas ont ceci de commun qu’un ensemble de phénomènes psychologiques bien coordonnés entre eux et se suffisant, font bande à part et vivent en dehors de la conscience normale ; ces consciences secondaires, chez les somnambules naturels, n’arrivent au premier plan que lorsque la conscience principale s’efface ; la condition seconde suc-