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poraire ? Elle avait ses souvenirs, son caractère, ses émotions, ses préoccupations. Est-ce que toute cette activité somnambulique disparaît quand la vie régulière reprend son cours ? L’observation simple ne nous dit rien ; l’expérimentation, fouillant plus profondément, va nous montrer qu’un reste de la vie somnambulique peut subsister à l’état de veille, sans que le sujet normal en ait le moindre soupçon.

Une des expériences qui le montre le mieux est celle-ci, que nous devons à Gurney, psychologue anglais de beaucoup de talent[1]. On a dit un nom, cité un chiffre, raconté un fait, récité une poésie devant une personne qui est en somnambulisme artificiel ; et on ne lui a donné aucune suggestion particulière, relativement aux paroles qu’on a prononcées ; on réveille la personne ; elle ne se souvient de rien, comme c’est la règle ; ce n’est pas un oubli de complaisance, c’est un oubli sincère, et si profond, que malgré la promesse d’un souverain — moyen employé par Gurney comme critérium de sincérité — le sujet ne peut retrouver un mot de ce qu’on a dit devant lui quelques instants auparavant. Alors, on prend sa main, on place un crayon entre ses doigts, ou bien, ce qui revient au même, on lui fait poser la main à plat sur une planchette spéciale, munie d’un crayon, et on lui cache sa main et l’instrument au moyen d’un grand écran interposé. En moins d’une minute la main s’agite, elle écrit, et ce qu’elle écrit, ce sont précisément les mots qu’on vient de prononcer devant le sujet en somnambulisme, et que son moi normal de l’état de veille ne connaît pas.

Le résultat de cette expérience est déjà bien curieux ; les conditions spéciales dans lesquelles on la produit le sont encore davantage. La main du sujet écrit, et lui-même ne sait pas ce que sa main écrit ; alors même que sa main et son bras ne sont pas insensibles, et peuvent percevoir pressions et piqûres, le sujet ne perçoit rien ; parfois,

  1. Proc. Soc. Psych. Research, 1887, 294.