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« Le lendemain nouvelle expérience. Il commence à numéroter son feuillet : 19 bis en traçant en haut le dernier mot de la feuille précédente, et écrit une demi-page. Le surlendemain il recommence et continuant la page 19 bis inachevée il numérote 19 ter, puis s’arrête à la page 20.

« Nous le laissons alors vingt jours sans lui reparler de son roman, et, au bout de ce temps, nous attirons de nouveau son attention sur ce sujet. Il prend la plume, numérote sans hésitation son premier feuillet : 21 en traçant comme toujours en haut les deux derniers mots de la dernière feuille, écrite vingt jours auparavant. »

Le malade observé par MM. Charcot et Guinon diffère principalement de celui de M. Mesnet par l’éveil d’une plus grande activité sensorielle ; le toucher acquiert une importance moindre, car la vue et l’ouïe sont plus éveillées ; en outre, le malade a l’usage de la parole, et il laisse échapper des réflexions souvent raisonnables, et parfois piquantes, qui indiquent de la façon la plus nette qu’il n’est point un automate dépourvu de conscience. Les observations de M. Charcot lèvent donc tous les doutes qui pouvaient encore subsister sur ce point important. Nous croyons inutile d’insister, tant la démonstration nous paraît complète. La conscience est aussi bien présente chez ces malades pendant leurs crises, que chez les somnambules étudiés au chapitre précédent.

Le journaliste B. présente aussi d’autres différences psychologiques ; il est moins concentré dans son délire que le sergent de Bazeilles ; celui-ci non seulement ne parle pas, mais il ne comprend pas ce qu’on lui dit, et par conséquent il est inaccessible aux suggestions verbales ; le journaliste a un délire avec lequel on peut entrer en relation directe, puisqu’il entend et comprend ce qu’on lui dit ; mais son état intellectuel reste cependant bien différent de celui des somnambules hypnotiques, car les hallucinations et conceptions délirantes qu’on lui communique se développent sans se laisser conduire au gré de l’expérimentateur.