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et du papier. Au bout de quelques instants il se met à écrire et remplit ainsi, sans s’interrompre autrement que pour allumer quelques cigarettes que nous lui offrons, douze feuillets de papier, composant une sorte de prologue à son roman. Il décrit la consultation externe de l’hospice un mardi matin, les allures et la physionomie des nombreux malades et des personnes de service. Il s’étend peu sur la description des membres du personnel médical, raconte ses émotions, son passage au bureau des entrées, etc. De temps en temps, comme s’il se trouvait avec un camarade dans un bureau de rédaction de quelque journal, il parle à cet ami imaginaire, se plaignant de l’exigence du prote qui n’a jamais assez de copie, demandant quelques conseils, raturant des mots impropres, faisant des additions et des renvois régulièrement numérotés. Ces douze pages sont écrites dans l’espace d’une heure environ.

« On le réveille alors en lui soufflant sur la face et en pressant sur un point hystérogène qu’il porte dans le flanc gauche. Il revient à lui après quelques mouvements convulsifs et on lui met sous les yeux le manuscrit qu’il vient de composer. Il reconnaît bien son écriture et paraît fort étonné d’avoir écrit tout cela en une heure. Il pense qu’on a dû le faire écrire pendant qu’il « dormait », car il n’avait encore rien composé là-dessus à l’état de veille, et, d’autre part, dans cet état de veille, il lui eût fallu deux bonnes heures pour écrire ainsi douze pages presque sans retouches.

« Trois jours après on recommence l’expérience. Le malade prend la plume et, délibérément, sans hésitation, numérote sa première feuille : 13 et au haut de la page il écrit le dernier mot de son précédent manuscrit[1]. Ce jour-là il écrit sept pages consécutivement, dont la dernière (feuillet 19) n’est remplie qu’à moitié.

  1. « On sait que c’est une coutume chez les personnes qui écrivent pour l’impression de répéter au haut de chaque page le dernier mot de la page précédente. Le malade ne manque jamais d’agir ainsi à chaque page blanche qu’il commence. »