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prenant indistinctement tous les objets qu’il rencontre sous sa main, les mettant dans sa poche, et les cachant ensuite sous une couverture, sous un matelas, sous une housse de fauteuil, sous une pile de draps. Arrivé au jardin, il prend dans sa poche un cahier de papier à cigarettes, l’ouvre, en détache une feuille, prend son sac de tabac, et roule une cigarette avec la dextérité d’un homme habitué à cet exercice. Il cherche sa boîte d’allumettes, frotte l’une d’elles, allume sa cigarette, jette à terre son allumette encore enflammée, met le pied dessus pour l’éteindre, et fume sa cigarette en se promenant de long en large dans toute l’étendue du jardin, sans qu’aucun de ces actes présente la plus légère déviation de leur manière d’être à l’état normal. Tout ce qu’il venait de faire était la reproduction fidèle de sa vie ordinaire.

« Cette première cigarette terminée il se prépare à en fumer une autre ; nous intervenons alors et lui créons des obstacles. Il a à la main une nouvelle feuille de papier prête à recevoir du tabac ; il cherche dans sa poche son sac qu’il ne trouve pas ; je le lui avais volé. Il le cherche dans une autre poche, parcourt tous ses vêtements, revient à la première poche pour le chercher encore, et sa physionomie exprime la surprise. Je lui présente le sac, il ne le voit pas ; je l’approche de ses yeux, il ne le voit pas plus ; je l’agite à la hauteur de son nez, il ne voit rien. Je le mets au contact de sa main, il le saisit aussitôt et achève sa cigarette. Au moment où il porte à sa cigarette une de ses allumettes qu’il vient d’allumer lui-même, je la souffle et lui présente à la place une allumette en feu que je tiens à la main ; il ne la voit pas ; je l’approche de ses yeux, si près, que j’ai pu lui brûler quelques cils, il ne la voit pas davantage, il n’a pas même le plus léger mouvement de clignement. Il allume de nouveau une autre allumette à lui, je la souffle encore et lui substitue la mienne, même indifférence de sa part. Je la mets au contact de la cigarette qu’il tient à la bouche, je brûle le tabac de sa cigarette, il ne s’aperçoit de rien, ne fait aucun mouvement d’aspiration. Cette expé-