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appliquait aux états de conscience. On sait que pour les anciens psychologues, tous ces états de conscience si nombreux, si variés, si nuancés, qui composent la vie mentale sont ramenés à des facultés de l’esprit. Il y aurait une faculté de mémoire, une faculté de raisonnement, une faculté de perception, une faculté de volition. Cette terminologie, qui a été critiquée avec raison, a eu le désavantage de faire supposer l’existence de certaines entités imaginaires ; on a cru qu’il existait une mémoire, une volonté, et ainsi de suite. Nous ne nous laissons plus duper aujourd’hui par cette terminologie trompeuse ; nous n’admettons plus que par commodité de langage l’existence de la mémoire ; nous savons que ce qu’il y a de réel et de vivant chez un individu, ce sont des actes de mémoire, c’est-à-dire de petits événements particuliers et distincts ; l’ensemble de ces événements peut bien recevoir un nom particulier, mais ce terme n’ajoute rien à la connaissance du phénomène ; et tous ces actes de mémoire locaux, spéciaux sont si bien distincts qu’on peut voir, dans certains cas pathologiques, toute une catégorie de mémoires qui disparaissent, tandis que d’autres restent intactes ou à peu près. C’est ainsi qu’une personne peut perdre la seule mémoire des choses visuelles, des formes par exemple ou des couleurs, et conserver la mémoire verbale, qu’elle est même obligée d’utiliser pour remplir les lacunes de l’autre mémoire. Bien plus, la perte de mémoire peut être localisée, spécialisée à ce point qu’on a vu des personnes ne plus savoir lire l’imprimé et conserver l’aptitude à lire la musique[1]. Toutes ces dissociations de la mémoire sont aujourd’hui bien connues, et nous dispensent d’insister sur les autres formes de dissociation. Ce qu’il faut principalement retenir de tout ceci, c’est que ce que nous appelons notre esprit, notre intelligence est un groupement d’événements internes, extrêmement nombreux et variés, et que l’unité de notre être psychique ne doit pas être cherchée ailleurs que dans

  1. Psychologie du raisonnement, chap. I.