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curieuse, celle-ci existe au regard de tous les assistants et n’existe pas pour tout ce qui vient de moi ; si on la pique, elle retire vivement son bras ; si je la pique, elle ne sent rien ; je lui plante des épingles qui restent suspendues à ses bras, à sa joue, elle n’accuse aucune sensation, elle ne les voit même pas.

« Ce fait d’anesthésie, non pas réelle, mais personnelle en quelque sorte, est déjà assurément fort singulier ; il est, si je ne me trompe, tout à fait nouveau. De même, si je place un flacon d’ammoniaque sous son nez, elle ne le repousse pas ; elle s’en éloigne, au contraire, si c’est une main étrangère qui le lui présente.

« Nous allons voir maintenant — toujours pendant qu’elle ne peut, en apparence du moins, ni me voir ni m’entendre — se dérouler à peu près toute la série des suggestions qui peuvent être faites à l’état de veille. Je les résume, ainsi qu’il suit, d’après les notes que j’ai prises, au moment même, le 14 juin 1888.

« Je rappelle, en tant que de besoin, que, si je m’adresse directement à Camille S…, si je lui demande, par exemple, comment elle va, depuis quand elle n’est pas venue, etc., sa physionomie reste impassible : elle ne me voit, ni ne m’entend ; au moins n’en a-t-elle pas conscience.

« Je procède alors, comme je l’ai dit tout à l’heure, impersonnellement ; parlant, non pas en mon nom, mais comme s’il s’agissait d’une voix intérieure, exprimant des pensées que le sujet tirerait de son propre fonds. Et alors l’automatisme somnambulique se montre, sous cette forme nouvelle et imprévue, aussi complet que sous toute autre déjà connue.

« Je dis à haute voix : « Camille a soif ; elle va aller demander, à la cuisine, un verre d’eau qu’elle apportera sur cette table. » Elle semble n’avoir rien entendu, et cependant, au bout de quelques instants, elle fait la démarche indiquée et l’accomplit avec l’allure vive et impétueuse déjà plusieurs fois signalée chez les somnambules. On lui demande pourquoi elle a apporté le verre