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Il faut ajouter, à ce qu’il me semble, des réserves analogues relativement à l’anesthésie totale ; le plus souvent, et même dans les cas où il s’agit d’une insensibilité de vieille date, tous les modes de la sensibilité ne sont pas éteints ; la sensibilité à la température peut survivre à l’extinction de la sensibilité tactile ; il peut y avoir toutes les dissociations possibles, et une des plus fréquentes est la conservation de la sensibilité au courant électrique, ou à l’action des métaux. Les anesthésies partielles sont aussi fréquentes, et peut-être plus, que les anesthésies totales.

La dissociation peut aller plus loin. Il n’est pas rare d’observer que dans un groupe d’excitants s’adressant au même sens, par exemple au sens tactile ou au sens de la pression, certains de ces excitants peuvent être perçus tandis que d’autres ne le sont pas ; la forme de l’excitation tactile peut avoir dans ce cas une grande influence, et je citerai à l’appui une observation que j’ai faite moi-même sur plusieurs malades ; ils étaient insensibles à la piqûre, à la pression et au courant électrique, alors même qu’on donnait à ces excitations une grande énergie ; mais il suffisait d’associer deux de ces excitations, de piquer avec une épingle en même temps qu’on pressait sur la peau insensible avec un corps mousse, pour éveiller aussitôt une sensation de douleur extrêmement vive. Chez ces sujets, l’anesthésie était partielle au point de ne pas comprendre tous les genres d’excitants mécaniques[1].

Ce même caractère se présente dans tous les cas, si fréquents, où l’anesthésie ne s’étend pas uniformément sur une région entière, mais existe en îlots distribués sur la peau sensible de la façon la plus irrégulière et la plus variable, sans affecter le moindre rapport avec la distribution anatomique des nerfs de la région. Si l’on promène alors une pointe d’épingle sur le tégument, le sujet peut sentir une piqûre légère sur un point, et ne rien percevoir du tout quand, un centimètre plus loin, on enfonce

  1. Contribution à l’étude de la douleur (Revue philosophique, 1889).