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oubli, mais une inconscience véritable[1]. La solution de cette difficulté doit donc être cherchée ailleurs.

M. Pierre Janet est le premier auteur qui ait nettement posé la question, et qui l’ait résolue, en faisant intervenir les phénomènes de la division de conscience. Il a d’abord montré que l’exécution d’une suggestion à échéance fixe ne peut pas être produite par une simple association latente, mais exige des remarques, des comptes, en un mot des jugements qui persistent dans la tête de l’individu jusqu’au moment où la suggestion se réalise. Voici comment l’auteur dispose l’expérience : « Lucie étant en état de somnambulisme constaté, je lui dis du ton de la suggestion : « Quand j’aurai frappé douze coups dans mes mains, vous vous rendormirez. » Puis, je lui parle d’autre chose, et cinq ou six minutes après, je la réveille complètement. L’oubli de tout ce qui s’était passé pendant l’état hypnotique et de ma suggestion en particulier était complet. Cet oubli, chose importante ici, m’était garanti, d’abord par l’état de sommeil précédent qui était un véritable somnambulisme avec tous les signes caractéristiques, par l’accord de tous ceux qui se sont occupés de ces questions et qui ont tous constaté l’oubli au réveil de semblables suggestions, enfin par la suite de toutes les expériences précédentes faites sur ce sujet où j’avais toujours constaté cette inconscience. D’autres personnes entourèrent Lucie et lui parlèrent de différentes choses ; cependant, retiré à quelques pas, je frappai dans mes mains cinq coups assez espacés et assez faibles. Remarquant alors que le sujet ne faisait aucune attention à moi et parlait vivement, je m’approchai et je lui dis : « Avez-vous entendu ce que je viens de faire ? — Quoi donc, je ne faisais pas attention. — Et cela ? (Je frappe dans mes mains.) — Vous venez de frapper dans vos mains. — Combien de fois ? — Une seule. » Je me retire et continue à frapper un coup plus faible de temps en temps ; Lucie distraite ne m’écoute

  1. Beaunis, Somnambulisme, p. 243.