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est redevenu sensible et mobile ; si par suggestion on fait renaître la paralysie, il y a des chances pour que les souvenirs reliés à celui de la paralysie réapparaissent et donnent au sujet l’illusion qu’il a quinze ans. Il y a là toute une chaîne d’idées ; si on tire sur un anneau, la traction passe d’un anneau à l’autre et parcourt toute la chaîne[1].

Seulement, ici, la question se complique un peu par suite du mode d’expérience qui a été adopté par MM. Bourru et Burot. Ces auteurs avaient à leur disposition, à l’hôpital de Rochefort, ce V…, qui avait été, à des époques diverses de sa vie, frappé de paralysie dans des parties différentes de son corps ; il n’était pas difficile de réaliser de nouveau chacune de ces paralysies, par suggestion, afin d’évoquer par là même la période d’existence qui s’y rattachait. Les auteurs n’ont pas manqué de faire cette expérience, mais ils en ont aussi fait une autre ; ayant remarqué que V… était extrêmement sensible à l’action des métaux à distance, ils ont cherché à provoquer chez le malade un changement d’état somatique (c’est-à-dire un changement dans la distribution de la sensibilité et de la motilité conscientes) en le soumettant à l’action des esthésiogènes.

Je ne puis pas, bien entendu, garantir l’exactitude de ces expériences ; l’action des esthésiogènes sur le système nerveux des hystériques est encore mise en doute par de très bons esprits, et la question me paraît loin d’être élucidée. On est donc libre d’admettre que les barreaux aimantés, le fer, l’or et les autres métaux dont on s’est servi pour modifier l’état de Louis V…, n’ont agi que par suggestion, ou par un moyen analogue.

Cette interprétation n’enlève pas tout intérêt aux expériences, puisqu’on peut à la rigueur les mettre sur le compte de la suggestion.

Grâce aux esthésiogènes, les auteurs ont pu produire et

  1. J’ai indiqué, depuis longtemps, dans une note faite en collaboration avec M. Féré, le rôle de ces associations d’idées dans les suggestions rétrospectives. (Revue philosophique, 1886.)