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LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

J’ai constaté moi-même, à plusieurs reprises combien il est facile de se rendre compte des qualités professionnelles d’un maître par cette méthode-là. Il m’est arrivé un jour de faire dicter dans les douze classes d’une école primaire une simple phrase ; j’emportai chez moi les copies, je les corrigeai, je fis le pourcentage des erreurs par classe, puis je revins voir le directeur de l’école.

— Monsieur le directeur, lui dis-je à brûle-pourpoint, est-ce que vous êtes content de tous vos maîtres ?

— Ah ! monsieur, s’écria le directeur en levant les bras au ciel, que me dites-vous là ! Il y a un de mes maîtres qui fait mon désespoir. Depuis trois ans, je demande qu’on le change d’école. Il n’y a pas moyen. Personne n’en veut. C’est une injustice, car je trouve que cela devrait être chacun son tour, et…

— N’est-ce pas le maître de la septième ?

Le directeur me regarda avec surprise : j’avais deviné juste. Le pourcentage des fautes d’orthographe dans cette septième classe était bien supérieur à celui de la sixième qui était une classe parallèle ; il était supérieur même à celui de la huitième, qui était composée d’enfants plus jeunes. Cela m’avait suffi pour mon diagnostic. Je ne connaissais pas ce maître, je ne l’ai jamais vu. La preuve était là, indiscutable, inscrite dans les devoirs de ses élèves. Et il est d’autant plus important de pouvoir faire ces diagnostics, que le tort causé par un mauvais maître aux élèves de sa classe est bien plus grand qu’on ne pense. Il ne fait pas tort à un enfant ou deux, mais à quarante, cinquante ; il ne leur fait pas perdre un jour, une semaine, mais toute une année ; ils peuvent, pendant cette année-là, non seulement ne pas avancer comme instruction, mais prendre de mauvaises habitudes de paresse, qui se prolongent pendant plusieurs années successives ; cela est incroyable, et cependant