Page:Binet - Les Idées modernes sur les enfants.djvu/303

Cette page a été validée par deux contributeurs.
296
LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

Mais il est permis de soupçonner que ces élèves qui servent à la démonstration et à l’exhibition ne sont que des demi-sourds, ou des enfants qui ont entendu autrefois ; car dans ces deux conditions, ce qu’on appelle une « démutisation » est plus facile. Nous avons voulu savoir si, quelques années après avoir quitté l’École, des sourds-muets, choisis avec soin parmi ceux que l’Administration elle-même considère comme ayant profité dans une mesure moyenne de l’enseignement oral, peuvent causer oralement avec des étrangers. En d’autres termes, le problème que nous nous étions posé était le suivant : cet enseignement oral, si pénible à acquérir, si coûteux à donner, présente-t-il une utilité sociale ? Après être allé examiner chez eux, à leur domicile particulier, une quarantaine de sourds-muets, nous sommes arrivés à la conviction suivante : Il n’y a pas moyen qu’un étranger entretienne une conversation sérieuse, utile, avec un de ces sourds-muets ; dès qu’on sort des banalités sur le nom, l’âge, dès qu’on ne s’aide plus du geste et de la mimique, dès qu’on veut avoir un renseignement précis, un nom propre, une adresse, un chiffre, un mot technique, il faut écrire. Notre conclusion a donc été : essayer de démutiser le sourd-muet complet et congénital, c’est donner un enseignement de luxe, qui peut procurer à ces malheureux et à leurs parents une satisfaction morale, mais ne leur sert pratiquement à rien pour trouver un métier, ni pour l’exercer ; car mis en présence d’étrangers, ils sont impuissants à les comprendre et à s’en faire comprendre par la parole.

Quelle conclusion devait-on tirer de notre enquête ? Que l’enseignement oral des sourds-muets est à supprimer ? Sans doute, c’est la première idée qui vient.

Mais pour sauver la démutisation, on a objecté qu’à tout prendre, et malgré la pauvreté de ses résultats pratiques, elle a tout de même une vertu éducative.