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LES APTITUDES

développement ultérieur, jour par jour. Jamais aucun fait nouveau n’est venu démentir la justesse de mes analyses précédentes et toute la psychologie individuelle que j’en avais tirée. Cependant, il s’est produit un petit événement, qui d’abord m’a singulièrement étonné, et que je n’ai pu comprendre que lentement. Armande, la cadette, s’est éprise de peinture vers l’âge de quatorze ans, et depuis cette époque elle n’a cessé de prendre la peinture pour centre de ses préoccupations. J’ai cru d’abord qu’il y avait là comme un démenti à tout ce que j’avais observé, car elle n’a point une aptitude marquée à l’observation et il me semblait que la peinture est bien un art des yeux, un art extérieur. Comment cette subjective pouvait-elle s’attacher à ce qu’il y a de plus objectif ? Ne devait-elle pas plutôt être portée à écrire, à faire de la poésie ou des analyses intimes ? Elle en a fait, il est vrai ; mais son goût dominant reste pour la peinture, et puisque depuis bien des années elle s’y montre ardemment fidèle, c’est certainement la preuve qu’elle a trouvé sa voie. Il y a donc là pour nous un problème à résoudre. On parvient à le comprendre un peu, en interrogeant Armande longuement, patiemment, et surtout en l’observant. Ce qui lui a donné le plus de mal en peinture, c’est le dessin, c’est aussi cette reproduction saisissante, réaliste, du type du modèle, qui réclame non seulement de l’observation, mais l’esprit aigu de l’observateur ; si elle se laissait aller à ses goûts, elle irait vers une peinture d’imagination, représentant ce qu’elle aime et ce qu’elle rêve plutôt que ce qu’elle voit, et, comme elle ne veut pas trop céder à cette tendance subjective, elle s’oblige à faire des efforts sur elle-même et à se combattre. Et d’autre part, si elle s’astreint volontairement à ne faire que de l’observation et à reproduire la nature sans y rien modifier, elle fait un travail pénible où sa verve se fige et où sa pensée se décou-