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LES APTITUDES

brusquement, et une femme qui se trouvait dans l’un d’eux eut la tête broyée contre le trottoir. »

Armande se tourne vers un domaine tout différent, celui des pensées abstraites, elle revient à son genre favori.

« La colère est un défaut qui nous occupe souvent. — Les murs d’une vieille maison suintent quand il pleut. »


Arrivera-t-on à les faire se ressembler en les priant de compléter une phrase dont on leur donne le commencement ? Pas davantage. Marguerite complète avec la précision de petits faits, Armande avec une idée vague et poétique. On donne Je suis entré dans… Armande écrit :… la campagne par un sentier couvert. Marguerite écrit :… une épicerie, et j’ai acheté pour deux sous de chocolat. Cet exercice a été fait sur des centaines de phrases, et avec des résultats si nets qu’on pouvait presque toutes les fois reconnaître quel en était l’auteur. Les rédactions de pure imagination nous montrent toujours les mêmes faits, et je pense que dès lors il est inutile d’insister sur les manifestations de ces deux mentalités. Ce qui est plus intéressant, c’est de voir en quoi surtout elles diffèrent. Il est évident pour nous que Marguerite a une imagerie plus abondante, plus intense, plus précise que celle de sa sœur ; elle se représente mieux ce qu’on lui suggère et elle affirme en effet que lorsqu’elle se représente quelqu’un de connu, c’est aussi fort, aussi net que si elle le voyait. En cela, elle est bien supérieure à Armande qui explique que toutes ses images sont vagues, brouillées et surtout inadéquates à sa pensée. En revanche, Armande montre un plus grand développement du langage ; elle écrit des mots plus compliqués, plus choisis ; dans des recherches sur les associations d’idées, on voit qu’elle est plus influencée par le son du mot, elle