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LES APTITUDES

travail intellectuel de nature raisonnée et réfléchie que nous venons de décrire ne constitue pas une règle générale. De temps en temps, on travaille tout autrement. C’est affaire de circonstances d’objet d’études, et de tempérament. C’est surtout lorsqu’on fait agir son imagination qu’on a une manière toute particulière de travailler ; l’illustre mathématicien H. Poincaré[1] vient de donner un remarquable exposé de la question, en décrivant comment il a fait la plupart de ses inventions. Le récit en est saisissant, presque dramatique.

Voici à peu près quelle est la suite la plus ordinaire des opérations. Il commence par une période de travail volontaire ; il s’est assis à sa table de travail, il examine la question, il raisonne, il calcule, il tend tous les ressorts de son attention, il fait, en un mot, du travail conscient. Souvent, il se rend compte de la difficulté qui l’arrête, mais elle ne continue pas moins à l’arrêter ; et fatigué, ou découragé, il abandonne.

Second temps ; quelques jours, quelques mois se sont écoulés. Il n’est plus devant sa table de travail ; il ne pense plus même à travailler ; il se promène ; il est sur une falaise, il traverse un boulevard, ou il monte en omnibus ; peu importent ces circonstances banales sinon qu’elles indiquent qu’il n’est pas préparé à faire un effort. Tout à coup il se produit en lui une illumination ; une idée lui apparaît ; c’est mieux qu’une idée, c’est une vérité ; il s’aperçoit que telle fonction mathématique a telles propriétés, ou qu’elle doit être rapprochée de telle autre. La solution cherchée autrefois se présente donc au moment où on n’y songe pas. Et quand elle se présente, elle est accompagnée d’une conviction profonde qu’on est dans le vrai. On ne sent pas le besoin de faire des

  1. Poincaré. L’invention mathématique. Voir Année Psychologique, XV, 1909, p. 445.