Page:Binet - Les Idées modernes sur les enfants.djvu/227

Cette page a été validée par deux contributeurs.
220
LES IDÉES MODERNES SUR LES ENFANTS

obligés d’apprendre au pied levé, par exemple la veille d’une représentation à bénéfice ou d’une tournée, ou enfin lorsqu’ils ont un engagement en province ou à l’étranger, sur un théâtre dont les pièces se renouvellent très souvent. Quand on apprend vite, on sait suffisamment son rôle pour le jouer sans accroc pendant la représentation du jour, mais ce rôle ne reste pas longtemps dans la mémoire, et deux ans après, si on le joue de nouveau, il faut l’apprendre de nouveau. Le fait est, paraît-il, tout à fait net et d’observation courante. Il n’est pas spécial aux acteurs ; beaucoup d’écoliers aussi apprennent vite et retiennent bien, mais pendant peu de temps. Comment cela s’explique-t-il ? J’imagine que c’est parce que l’attention s’est fixée de préférence sur l’extérieur, sur les qualités sensorielles de la phrase, et non sur l’intérieur, sur les idées. Bien entendu, je ne garantis pas cette explication, qui est un peu hypothétique. Ce qui est plus important, c’est d’empêcher l’enfant de cultiver uniquement cette mémoire temporaire. Mais comment peut-on s’y prendre ?

Que l’acquisition ait été superficielle ou profonde, l’élève n’en récitera pas moins sa leçon sans faute, et l’oreille qui l’écoute ne peut pas arriver à distinguer si demain cette leçon si bien récitée sera encore dans la mémoire ou sera oubliée. Le maître ne peut donc se rendre compte de rien au moment de la récitation. Mais il arrivera au même résultat que s’il se rendait compte de tout, s’il veut bien prendre une précaution très simple : ne jamais faire connaître d’avance l’heure de la récitation. L’élève qui sait que c’est mardi à huit heures et demie qu’il a des chances qu’on lui demande de réciter, se prépare tout juste pour mardi à huit heures et demie, en faisant une acquisition superficielle jusqu’au dernier moment. S’il a reconnu à ses dépens que l’heure fatale de la récitation ne peut pas